En quelques mots : Le
dernier western ? Depuis la sortie d’Impitoyable
en 1992, aucun western vraiment digne de ce nom n’est sorti sur les
écrans : ou ils sont mauvais (Belles
de l’Ouest), ou ce sont des comédies (Maverick)
ou ils n’ont pas marché (Mort ou vif,
Les disparues, Open Range). D’ailleurs, depuis Pale
Rider en 1985, le précédent western de Clint Eastwood, il n’y avait déjà
pas eu grande chose à se mettre sous la dent (l’omission du très surfait Danse avec les loups est tout à fait
volontaire). Mais surtout, au delà de cet aspect somme toute anecdotique, cette
seizième réalisation du cinéaste apparaît bien comme le dernier western, en
cela qu’il est un aboutissement, et dans la carrière de Clint, et dans l’évolution
du genre. A
ce jour, l’acteur a mis en scène quatre westerns. Quatre perles. C’est sans
doute de Josey Wales hors-la-loi qu’Impitoyable se rapproche le plus, par
son ancrage dans la réalité, L’homme des
hautes plaines et Pale Rider
baignant quant à eux davantage dans un climat irréel au bord du fantastique et
de l’allégorie. Plastiquement très sombre (l’obscurité l’emporte souvent sur la
lumière), ce film développe une vision définitive de l’Ouest, loin de tout
romantisme et des clichés inhérents au genre. Impitoyable est une œuvre crépusculaire et révisionniste qui nous
montre l’Ouest, le vrai, un monde pauvre, sale et boueux où les tueurs doivent
être saouls pour abattre leurs adversaires et où les prostituées n’ont rien du
glamour hollywoodien. Ce
western délivre en outre une réflexion inédite et désenchantée sur la violence
et ses conséquences, thème cher au réalisateur. Jamais un film n’a su mieux
illustrer la difficulté de tuer un être humain. Il faut voir les hommes du
shérif Little Bill, gangrenés par une angoisse fébrile avant une éventuelle
fusillade. Tuer n’a ici plus rien de glorieux. L’héroïsme en prend un coup. Il
se penche aussi sur la façon dont les légendes se créent dans l’Ouest, univers
mythique s’il en est, et qui n’est pas sans rappeler L’homme qui tua Liberty Valence de John Ford avec John Wayne, James
Stewart et Lee Marvin. Au delà de ces thèmes, le film est aussi le portrait
d’un ancien tueur, un homme brisé, fatigué, hantée par son passé, en quête
d’une rédemption, d’un pardon (le titre original, Unforgiven, c’est-à-dire, impardonnable, convient mieux car Munny
n’est plus impitoyable, sauf à la fin). Le visage buriné, Clint s’avère parfait
dans ce rôle qu’il a attendu dix ans avant de porter à l’écran (Il désirait
avoir la gueule adéquate pour camper William Munny). Il faut le voir peiner
pour monter à cheval ou se faire passer à tabac d’une manière assez masochiste
par Gene Hackman, génial en shérif salaud et brutal. On est décidément loin de
L’homme sans nom. Depuis quelques années, l’acteur n’hésite pas illustrer la
vieillesse qui le touche, mais il ne l’avait encore jamais traitée avec autant
d’intelligence et de vérité. Admirablement
réalisé, Impitoyable porte en lui la
griffe de Clint Eastwood, qu’il s’agisse du climat inquiétant qui le drape ou
bien de cette violence sèche et brutale qui le traverse. Le style de Eastwood
éclate notamment durant les dernières scènes dans la ville écrasée par les
ténèbres et léchée par les flammes, dans laquelle Clint, endossant à nouveau la
figure de l’ange exterminateur, vient se venger de la mort de son ami joué par
Morgan Freeman (parfait lui aussi comme toujours). Le film est alors aux portes
de l’Apocalypse et de la fin du monde. Impitoyable, dédié à ses deux mentors,
Sergio Leone et Don Siegel, chacun ayant contribué à leur façon à façonner le
mythe que l’acteur est devenu aujourd’hui, constitue une étape importante dans
la carrière de Clint Eastwood, car il est à la fois un aboutissement dans
l’évolution de son personnage de pistolero (du gentil cow-boy de la série Rawhide au tueur silencieux de la
trilogie de Sergio Leone, de Josey Wales le fermier vengeur au cavalier
fantomatique de Pale Rider) et le
film qui lui permet d’être définitivement reconnu par ses pairs comme un
cinéaste majeur de son temps et de connaître à nouveau le succès après trois
échecs (Pink Cadillac, Chasseur blanc, cœur noir et La relève). Cette reconnaissance se
concrétise par un immense succès populaire (plus de 100 millions de dollars
rien qu’aux Etats-Unis, pour un western, en 1992, et avec des acteurs plus tout
jeunes !) et par quatre oscars (meilleur film, meilleur réalisateur,
meilleur second rôle masculin pour Gene Hackman et meilleur montage pour Joel
Cox). Clint est dès lors considéré comme une légende du septième art, ce que
confirmeront le triomphe de Dans la ligne
de mire de Wolfgang Petersen en 1993 et la présidence du festival de Cannes
en 1994 (chose qui aurait été impensable dix ans plus tôt). De plus, jusqu’à
présent, ses œuvres les plus personnelles, telles que Bronco Billy ou Honkytonk Man
ont toujours été des échecs. A partir d’Impitoyable
la situation s’inverse et ce sont ses projets les plus ambitieux, ceux qui lui
tiennent le plus à cœur qui sont acclamées par le public (Sur la route de Madison, Mystic
River et surtout Million Dollar Baby),
exception faite de Minuit dans le jardin
du bien et du mal, alors que les moins risqués Jugé coupable ou Créance de
sang par exemple, ne marchent pas très bien. Enfin,
le western en tant que genre cinématographique, trouve son aboutissement avec Impitoyable. Si le genre a enfanté de
nombreux chefs-d’œuvre – citons notamment La
chevauchée fantastique de John Ford (1939), Rio Bravo de Howard Hawk (1959) ou bien La horde sauvage de Sam Peckinpah (1969) qui ont tous les trois
contribué à son évolution – il semblait depuis, manquer une pierre à l’édifice
pour que ce dernier soit désormais achevé. Développant une vision réaliste de
l’Ouest, Impitoyable apparaît comme
l’achèvement de cette évolution. Durant les années 70, nombreux furent ceux qui
eurent la volonté de démythifier l’Ouest en plongeant le western dans une
réalité souvent sordide. Ce furent la plupart du temps des échecs. Ce qui
différencie Clint Eastwood, c’est son respect ainsi que sa réelle connaissance
du genre, qui lui permettent d’offrir des œuvres certes réalistes, mais
empreintes de la dignité et de la grandeur du western. A
62 ans, Clint Eastwood livre un film magistral et semble avoir atteint une
maturité en terme de qualité et au niveau de son style, élégant et épuré, ce
que confirment ses œuvres suivantes lesquelles partagent avec Impitoyable une réelle communauté
formelle (mise en scène, musique…). Enfin, il marque le début de la
collaboration du cinéaste avec la crème des comédiens américains, tels que Gene
Hackman, Morgan Freeman, Richard Harris, et plus tard, Kevin Costner, Meryl
Streep, Kevin Spacey, Tommy Lee Jones ou Hilary Swank, en lieu et place
d’acteurs certes solides mais moins réputés.
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