L'angoisse de la page blanche, le chroniqueur l'affronte aussi. Quand il croise le chemin d'un artiste tel que Äärvö par exemple, dont l'œuvre, énigmatique et indéfinissable, froide et hypnotique, échappe aux critères régissant d'ordinaire ce type d'exercice critique. Les mots se fracassent contre une masse sonore grouillante et sévère tout ensemble. Pourtant, Arvo Steinberg (La Cellule d'or), le démiurge tapis dans l'ombre de ce singulier et prolifique projet, maîtrise l'art du verbe, use des mots avec une infinie et poétique richesse, ce dont témoignent les titres chargés de présenter chaque piste, lesquels sonnent comme une invite surréaliste à les parcourir comme on feuillète un livre. Mais rien n'y fait, les sons prennent mort (plutôt que vie), les nappes ambient s'étirent, rarement paisible, polluées le plus souvent et l'écoute s'achève sans qu'on est bien compris de quoi il s'agissait. Le fait que les créations fabriquées par le Français se suivent et ne se ressemblent guère si ce n'est dans leur insaisissabilité et cette manière qui n'appartient qu'à leur géniteur de brouiller les cartes, de s'affranchir des genres, n'aide pas une pénétration qu'on devine d'emblée ardue.
Hermétique peut-être ? Pour autant, Äärvö ne l'est pas tant que cela. Moins dans tous les cas que ce que renvoie son image. Mygale Rose ne se révèle sans doute pas l'opus le plus représentatif de son auteur, si tant que l'un de ses albums puisse incarner à lui seul cette expression mouvante, mais il n'en illustre pas moins toute l'ambivalence d'un art dont la glaciale et parasitée tessiture ne l'exonère pas d'entêtantes lueurs. Le successeur de Monolithe Nivéal a quelque chose d'une dérive dans les profondeurs insondables d'une forge hantée de laquelle suintent des miasmes venimeuses. Si chaque plage possède son identité propre, Äärvö tisse néanmoins une toile indivisible qui se doit d'être absorbée dans son enveloppante globalité pour en sucer le poison. Techno frissonnante ('Par les montagnes claquées d'émeraudes', 'Pilier metal | Genou machine'), ambient désincarnée ('Cauchemars splendides'), pourrissante ('Une plaine d'éclats saphir') ou quasi céleste ('Mygale rose'), musique industrielle que des voix oppressantes viennent corroder et pousser au bord de la folie ('Qui d'une main ferme, chasse le mal') et rituel tripant ('Sinon adieu, tout sourire, ma chimère') s'agrègent en un pandémonium qui confine à la transe sans pour autant jamais vraiment caler l'aventureux auditeur dans un état confortable, tant les atmosphères qui s'en extraient oscillent entre une sentencieuse abstraction et un froid matérialisme que nimbe par un ressac pointilliste une quiétude ouatée. Encore une fois, Mygale Rose est l'offrande précieuse d'une entité qui l'est tout autant, dont le travail ne s'explique décidément pas mais se ressent comme une exhalaison vénéneuse et envoûtante. (14.02.2021) ⍖⍖⍖
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