Bien
qu'il ait participé à l'émergence de la scène death metal finlandaise au début
des années 90, Amorphis a en réalité très tôt entamé sa mue pour afficher des
traits plus doom tout d'abord, extrêmement mélodiques et nourris au folklore
national ensuite. Quoique fixée très rapidement, son identité n'a donc cessé
d'évoluer, quitte à déstabiliser son public. Ainsi à "The Karelian
Isthmus" qui a fait découvrir le groupe
en 1992, dans la veine morbide d'un death doomy, succède deux ans plus
tard, après le EP "Privilege Of Evil", ce "Tales From The
Thousand Lakes" que beaucoup considèrent à raison comme l'un de ses joyaux
et comme l'album emblématique de cette première période où Amorphis avait
encore toute sa place au sein de la chapelle extrême. Si le socle creusé par
son prédécesseur n'a pas encore été arasé totalement car il en reste encore des
oripeaux, à commencer par le chant grumeleux de Tomi Koivusarri et la prise de
son assurée à nouveau et pour la dernière fois (ou presque) - il sera secondé
sur "Elegy" par Mikko Karmila - par le Suédois Tomas Skogsberg qui,
dans les entrailles des Sunlight Studios, sera responsable de la croûte sonore
qui fera le succès des Entombed, Dismember et autre Carnage, ce deuxième opus
rompt déjà ses amarres, œuvre plus policée et accessible, quand bien même
'First Doom' ou 'The Castaway' demeurent prisonniers d'une épaisse gangue
rocailleuse. La place, alors inédite, des claviers témoigne de ce glissement
vers une musique où les mélodies priment sur une brutalité qui, chez les
Finlandais, a de toute façon toujours été très relative. Loin d'un rôle
figuratif chargé d'égrener des ambiances, cet instrument, honni par nombre
d'ayatollahs du genre, devient aussi déterminant que les guitares dont il
souligne le travail finement découpé. Magnifique et nimbée de chœurs féminins,
l'intro 'Thousand Lakes' illustre
merveilleusement cette promotion, porte d'entrée élégiaque d'un opus dont on
sent d'emblée qu'il corrigera les menues maladresses de son aîné. Grâce à ces
synthés volubiles dont un Moog à priori incongru, les influences progressives
surgissent au détour d'un 'Black Winter Day', véritable épicentre d'un menu
dont il synthétise à lui seul le caractère franchement mélodique. Mais les
différences entre ces deux premiers disques ne se constatent pas sur le seul
terrain stylistique ou formel mais également sur celui de la qualité d'écriture
qui fait cette fois-ci plus qu'éclater au grand jour, par le biais de
compositions entêtantes aux allures d'hymnes, telles que 'Drowned Maid' ou 'In
The Begining'. Louons à ce titre encore une fois l'immense talent du guitariste
Esa Holopainen dont les lignes lumineuses et acérées ont quelque chose d'une
vigie perçant la nuit. L'homme maîtrise parfaitement cette science de
l'accroche imparable, ce dont témoignent 'Forgotten Sunrise' et plus encore
l'entraînant 'To Fathers Cabin', irrésistible instrumental tout en progression.
"Tales From The Thousand Lakes" dévoile déjà un groupe en pleine
possession de ses moyens qui impressionne par les progrès qu'il a réalisés en
l'espace de deux ans. La suite ne fera que confirmer cet admirable potentiel... 4/5 (2016)
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