Premier
contact avec un album, certaines pochettes accrochent toutefois plus que
d'autres la mémoire. Telle est le cas de celle de "Lionheart", où
l'on est tout étonné de découvrir la chanteuse sous le déguisement d'un lion, à
quatre pattes sur une caisse en bois, en une posture qui pourrait être ridicule
mais qui réussit pourtant à exsuder une sorte de naïveté érotique qui résume à
merveille le charme unique de celle qui est alors encore une jeune femme, dont
les lignes vocales de petite fille sous lesquelles couve cependant une
mélancolie diffuse, sont autant capables de séduire que de repousser. Enfanté
quelques mois à peine après "The Kick Inside", offrande qui a révélé
son talent pour le moins singulier, ce deuxième album se voit généralement
oublié au profit de son prédécesseur, alors qu'en réalité les dix pièces qui
l'animent ont été écrites, comme leurs devancières, longtemps avant, lorsque
l'Anglaise n'était encore qu'une adolescente, fraîchement repérée par David
Gilmour. De fait, contrairement à ce que l'on pourrait craindre,
"Lionheart" n'a pas été composé dans l'urgence afin de capitaliser
sur le succès de son aîné, quand bien même on peut penser que EMI a dû presser
la chanteuse pour qu'elle accouche au plus vite d'un nouvel opus. Capturé par
la même équipe (ou presque), dont le claviériste et producteur Andrew Powell,
il se rapproche naturellement de "The Kick Inside" sans pour autant
n'en être qu'une pâle ou simple resucée. Au contraire, et nonobstant
d'évidentes similarités, à commencer par l'identité déjà affirmée de son
auteur, il possède un charme qui lui est propre, à la fois moins évolutif mais
tout aussi magique dans ses ambiances (faussement) légères, à l'image d'un 'In
Search Of Peter Pan', de loin assez proche du matriciel 'Wurthering Heights'
mais habité de nuances enchanteresses. En dépit de ses mélodies d'une
simplicité trompeuse ('Symphony In Blue'), "Lionheart" recèle en
réalité des trésors d'écriture où les atmosphères sont reines, comme
l'illustrent l'étonnant 'Don't Push Your Foot On The Heartbrake' dont les
traits, tour à tour délicats ou plus durs, ne cessent de changer ,ou ce 'Wow'
plus intéressant que ce que son titre laisse croire. Corollaire de cette
richesse mélodique, l'œuvre témoigne que, si la voix acidulée, quoique parfois
plus appuyée, de la maîtresse des lieux est l'incontestable fil d'Ariane d'une
trame ciselée avec pureté ('In The Warm Room', 'Kashka From Baghdad'), les
(autres) instruments ne sont pas en reste. Le piano, d'une suavité baroque, se
taille bien entendu la part du lion ('Fullhouse') mais n'étouffe jamais les
nombreux musiciens qui l'accompagnent, témoin ce 'Hammer Horror', hommage à la
firme cinématographique spécialisée dans l'épouvante, que propulse une
partition haute en couleurs. Faux-frère jumeau de "The Kick Inside",
"Lionheart" se révèle être une irrésistible sucrerie enrobée de cette
naïveté que teinte une gravité aérienne, qui n'appartient définitivement qu'à
cette fascinante déesse pour laquelle nous aurons toujours une tendresse
particulière. (2016)
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