Disparu
des écrans-radar depuis 2003 et "Deconstruction Of The World", trop
long silence seulement interrompu par "The Collective Works", somme
exhaustive de ses expérimentations successives, on croyait Sophia enterré même
si sa mort n'avait jamais été officiellement annoncée. Mais Peter Bjärgö, celui
qui en incarne l'âme incontestable, semblait, ces dernières années, plus
intéressé par d'autres projets, prêchant (toujours) la bonne parole d'une
musique sombre, quitte à se disperser
entre Arcana, son principal port d'attache, Karjalan Sissit, le nouveau venu Onus,
sans compter les deux échappées sous propre nom ("A Wave Of
Bitterness" et "The Architecture Of Melancoly"). C'est
d'ailleurs peu dire que la carrière du Suédois s'avère des plus difficiles à
suivre, à cerner, l'homme n'étant (plus) jamais là où on l'attend. La
résurrection de Sophia confirme ce sentiment. Surgit de nulle part,
"Unclean" est donc là. Celui-ci est de ces albums peu aisés à évoquer.
La crainte de ne pas parvenir à en capter l'essence, à en restituer la
richesse, tenaille une plume qui semble sans vie face à un tel monument de peur
et de mort. Faussement abordable, comparé à ses devanciers, ce cinquième opus
ne dévoile pas son oppressante intimité dès les premières pénétrations. Agrégat
tendu de courtes pistes, certaines ne dépassant même pas la minute au compteur,
sa défloration peut ainsi tout d'abord décevoir, laisser un sentiment d'inachevé,
auquel succède pourtant très vite une impression de malaise, de terreur. D'une
froideur martiale, l'oeuvre finit par déranger, libérant une puissance
crépusculaire qui se répand comme les secousses menaçantes déclenchées par une
armée sur le sentier de la guerre. "Unclean" évoque des paysages
d'apocalypse, de ruines, peinture d'un monde parvenu au bord du chaos, qui
s'effondre dans un fracas de sonorités mortifères. Magma inquiétant de
percussions autoritaires, de cendres ambient et de samples bruitistes au
souffle lugubre, ces pulsations vibrent d'une force obscure dont les lignes
vocales, féminines parfois (celles de Cecilia Bjârgö), terrifiantes toujours, cri possédés qui
semblent s'échapper d'un asile, loin d'en altérer la portée, participent au
contraire d'une noirceur nihiliste, de laquelle suintent pourtant une beauté trouble, un
envoûtement morbide et masochiste. Ecouter "Unclean" revient à
affronter une réalité sans fard, celle d'une humanité gangrenée par la folie.
S'il marque le retour inespéré de Sophia, il apparaît cependant, de par sa
dimension définitive et prophétique, davantage annoncer sa fin tant on imagine
mal comment ses auteurs pourraient lui offrir un successeur. Rien ne peut
surgir après cet opus destructeur aux allures de point final, probable
testament d'une entité plus que jamais seule et visionnaire. (2016)
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