24 août 2021

CinéZone | Joseph L. Mankiewicz - L'aventure de Mme Muir (1947)




L'aventure de Mme Muir aurait pu n'être qu'une mielleuse bluette. Entre les mains d'un médiocre, le film n'aurait certainement pas évité de s'enliser dans la guimauve. Mais Joseph Mankiewicz n'a rien d'un sombre tâcheron. Et s'il ne s'agit que de son quatrième travail de metteur en scène, sa maîtrise est déjà totale. Mieux, par la force et l'intelligence de son inspiration, et précieusement épaulé par d'immenses collaborateurs, il transcende puissamment cette histoire d'amour qui, entre ses mains, se mut en un poème symbolique. A la lisière du fantastique, l'oeuvre cultive ce romantisme onirique qui offrira à Hollywood quelques uns de ses joyaux, de Peter Ibbetson d'Henry Hathaway (1935) à Brigadoon de Vincente Minnelli (1954) en passant par Le portrait de Dorian Gray de William Dieterle (1948), autant de récits où l'amour triomphe de la mort, où le rêve terrasse le réel. Mais Lucy Muir est-elle en train de rêver ou est-ce véritablement le fantôme du capitaine Gregg qui hante la maison ? Chacun interprétera cette histoire à sa façon, selon son ressenti, sa sensibilité. S'il ne manque pas de nous amuser, flirtant parfois avec le burlesque (le personnage de M. Coombe), L'aventure de Mme Muir n'en dévoile pas moins une poignante mélancolie. Celle du temps qui passe, admirablement illustré par le ressac de l'océan et cette planche en bois dont le nom de la petite Anna qui y est inscrit, finit peu à peu par s'estomper. Esseulée par un charmeur pathétique, idéalement campé par un George Sanders plein de sa suavité coutumière, Lucy vieillira seule. Ainsi, la seconde partie du film, qui voit le fantôme s'effacer face au réel, est déchirante. Son retour, lorsqu'il vient chercher Mme Muir après que son corps se soit éteint, n'en est que plus bouleversant. Et il parait impossible de ne pas être ému par cette ultime rencontre qui solde une histoire d'amour éternelle par delà le temps et l'espace à la manière des Surréalistes. S'il n'en a pas écrit le scénario, que signe Philip Dunne (Qu'elle était verte ma vallée), Mankiewicz imprime pourtant son ironie féroce à ce matériau qui dépeint la méchanceté et la médiocrité de notables (la belle-mère et sa (vieille) fille, le mauvais mari Miles Fairley), en opposition à ceux que la bonne société marginalise (le marin et la veuve désireuse de vivre sa vie). Les dialogues entre les deux "amants" s'avèrent aussi brillants que savoureux. Il faut dire que Rex Harrison, dans un mélange de séduction et de rudesse, de force et de tendresse (il est l'image du mâle rêvé selon Freud) et Gene Tierney, fragile et décidée, incarnent un duo merveilleux. A l'image du film dans son intégralité. De la photographie de Charles Lang à la musique triste et envoûtante de Bernard Hermann, sans oublier le décor romanesque fourni par cette maison juchée au bord de la mer, tout concourt à tricoter une atmosphère délicieusement fantastique. A la forme, simple et épurée, le réalisateur privilégie la richesse émouvante de ses personnages inoubliables, faisant de L'aventure de Mme Muir un des plus beaux poèmes sur l'amour de l'histoire du cinéma. Mélancolique et néanmoins teinté d'espoir. (vu le 26.02.2021) ⍖⍖⍖⍖





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