Eu égard à la magnificence de chacune de ses offrandes, nous pourrions croire qu'il faut du temps à Day Before Us pour les concevoir. Or il n'en est rien. Ou du moins cela semble-t-il être le cas. A chaque fois, une impression de sérénité, d'apaisement, s'écoule de ces créations qui paraissent venir d'ailleurs, comme échappées d'un éther poétique. Philippe Blache, l'homme derrière ce projet précieux que l'on chérit comme un trésor connu d'une poignée d'élus, impressionne par sa créativité, ne cessant d'enrichir son œuvre chaque année que dieu fait sans jamais renier son exigence.
Un peu plus d'un an après avoir livré le superbe (comme toujours) "Ode à la nuit d'ombre", il revient nous enchanter avec "Complaintes au bord d'un autre monde". Son titre seul suffit déjà à évoquer des images spectrales, qui pourraient être extraites du Tour d'écrou de Henry James ou de son adaptation par Jack Clayton, Les innocents, matrice de tous les films de fantômes. En réalité, chacun y puisera les fragments de vie et de mort qu'il ressentira en fonction de son vécu car l'art de Day Before Us ne s'écoute pas seulement (religieusement), il se vit, se glisse dans nos souvenirs, s'invite dans notre inconscient. De là sa faculté à nous hanter longtemps après que ses notes se soient tues.
Si le sceau du Français reste identifiable entre mille, "Complaintes au bord d'un autre monde" a pourtant été créé à quatre mains, fruit de sa collaboration avec Davide Del Col, l'âme de Antikatechon, entité solitaire basée en Italie. Cela fait longtemps que les deux hommes se connaissent et entretenaient l'envie d'engendrer ensemble un ouvrage, immersion dans les musiques ténébreuses. Il serait bien sûr tentant de déterminer l'apport de chacun. On reconnaitra ainsi dans ces nappes élégiaques et brumeuses la signature de Day Before Us. Il en va de même de ces (rares) mélopées féminines récitant des bribes poétiques le temps de deux titres. A Antikatechon, esthète d'un dark ambient immersif, peuvent être attribuées ces soundscapes grésillants ('face à l'attrait des voix anciennes') ou ces motifs désincarnés.
Au vrai, on devine que les deux protagonistes se nourrissent réciproquement de leur identité. Cette alliance permet à Philippe Blache de renouer avec les sonorités sombres et ambient de ses débuts au moment où s'est achevée son enrichissante collaboration avec la chanteuse Natalya Romashina dont les lignes vocales balayaient délicatement ses derniers albums. Essentiellement instrumental, "Complaintes au bord d'un autre monde" se présente comme un voyage qui ne doit pas être émietté. C'est dans son entièreté languissante que son élan spirituel puissant et sa beauté d'airain peuvent se matérialiser et exprimer leurs douloureux sentiments. Plutôt que de chercher à détailler chacune de ces neufs plaintes au risque d'en ôter une part de la magie nichée dans leur intimité, mieux vaut se laisser bercer, hanter par le son de leur ressac.
De toute façon, les mots paraissent vides, se noient dans ce buvard émotionnel. Il convient malgré tout d'extraire de cet ensemble quelques bijoux qui le sertissent tels que 'Sur des rivages taciturnes' où le syncrétisme entre Day Before us et Antikatechon est le plus achevé. Citons également 'Crépuscule d'airain', respiration d'une emphase mortuaire qui brille de leurs enveloppantes. S'il ne faut oublier ni le monumental portail 'Sur les cimes de l'âme' ni le liturgique Au deuil de mes rêves attristés', chacun de ses psaumes mériterait d'être évoqués. Nous en resterons donc là pour ne pas déflorer toute la magie de cette œuvre rare, poème funèbre d'une engourdissante beauté dont on aimerait que ses auteurs n'en restent pas là et poursuivent leur alliance... (23.07.2020)
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