28 septembre 2016

Interview | Day Before Us (septembre 2016)


Entretien avec Philippe Blache, l'âme de Day Before Us, entité passionnante qui erre quelque part entre musique néo-classique et dark ambient.

Day Before Us se confond avec ta personne mais qui est Philippe Blache ? Quel est ton parcours musical ?

Je suis anthropologue "européaniste" et producteur de musique à destination de l'industrie du disque. Lors de mon début de parcours musical je me suis contenté de suivre les enseignements auprès d’un professeur russe d’origine moscovite, ce qui m’a permis d’acquérir les bases dans l’interprétation d’œuvres lorgnant vers le classicisme aussi bien que vers la musique romantique russe (en particulier Rachmaninov et Tchaïkovski) pour piano. Pour des raisons diverses mais également faute de temps et de réel investissement j’ai mis de côté durant plusieurs années tout contact avec l’instrument. Ce n’est qu’au tout début des années 2000 et avec la découverte de l’approche néo-tonale et du renouveau spirituel en musique contemporaine (notamment chez Alan Hovhaness, Lili Boulanger, Germaine Taillefer, Henryk Gorecki…) que je me suis décidé à me remettre à jouer à temps perdu, notamment certaines pièces tirées de l’impressionnisme debussien, et des étrangetés poético-oniriques de Satie. L’évocation de « minimalisme sacré » pour décrire nombre de ces musiques me plaît bien.

Pianiste de formation, tu aurais pu t'orienter vers la musique classique. Qu'est-ce qui t'attirait dans les courants néo-classique et dark ambient ?

Ma rencontre avec les musiques sombres et (post) industrielles touchant aussi bien au dark ambient qu’à l’éthereal wave et autres tendances aux sonorités complexes teintées de noirceur, de mélancolie voire d’épanchement mystique s’est réalisée assez tardivement. C’est par l’intermédiaire de mon ami Giuseppe Verticchio (du groupe ethno-drone industriel Nimh) avec qui j’ai collaboré sur mon premier album que j’ai approfondi. Cela remonte à 2005 environ. J’avais commencé à écrire mes propres compositions, très sommaires, à l’époque simplement au piano acoustique et muni de certains logiciels de traitement, sans être véritablement impliqué dans ces mouvances musicales. En temps qu’auditeur je collectionnais davantage les albums issus de la vague cosmique allemande des 70s, essentiellement en format vinyl et d’occasion (à prix excessif) car il y a avait très peu de rééditions cd, disons au compte goutte pour ces musiques marginales et évoluant sur un terrain plus introspectif émotionnellement. Je n’ai pas cherché à vouloir catégoriser mon travail ou à appartenir exclusivement à un courant, ce sont les distributeurs, chroniques et retours qui m’ont orienté sur ce créneau dark ambient. Ceci dit ça ne me dérange pas car j’apprécie les projets émanant de cette communauté musicale ainsi que la passion réelle des managers de labels pour une musique qui demeure confidentielle et étrangère au grand public.


                     



Ton art est très sombre, mélancolique et comme tu aimes à le décrire, nocturne. Ta musique possède-t-elle une dimension cathartique ?

Oui tu touches au coeur, l’envoûtement et la sacralité en musique m’interpellent et me saisissent, quelque soit les labels, les postulats et les paradigmes musicaux convoqués. Je pense que la musique peut nous faciliter un travail de « migration" ou de « conversion" intérieure, de "retour à l’essentiel" hors des sentiers faciles de la "new âge" et plus en prise avec une expérience émotionnelle entière et quasi mystique. En ce sens il faut brûler pour entrevoir la lumière, c’est pour ce motif que ma musique puise ses forces dans la douleur d’être au monde, la conscience du temps et ce désir de transcendance, voir d’élévation et d’éblouissement devant l’absolu. J’aime ce terme de « catharsis » car il est l’émanation d’autre chose, témoigne de notre angoisse et de notre quête de délivrance pour nous sauver du quotidien et atteindre la poésie comme métaphysique du cœur.

La spiritualité plus que la religion, semble te guider...Est-ce exact ?

La religion a souvent une connotation dogmatique (communauté des fidèles, textes canoniques, hiérarchie ecclésiastique) que je ne retrouve pas dans une approche spirituelle plus intériorisée. Le lyrisme tragique, l’inquiétude métaphysique et la spiritualité me motivent à écrire et à exprimer mes sensations ou sentiments par le biais de la musique. A cet égard j’ai une profonde admiration pour les travaux de sagesse spirituelle rédigés par quelques tenants de la sophiologie slave, je pense notamment au père Serge Boulgakov, Nicola Berdiaev, Vladimir Soloviev, Paul Florensky (ce dernier est pour moi une véritable figure motrice capable de nous mener vers la grande aventure spirituelle). En spiritualité, les tableaux apocalyptiques, visionnaires, épiques et lyriques des chantres médiévaux m’inspirent également.

Quasi cinématiques, tes créations se rapprochent de bandes-son. je crois savoir que le cinéma t'inspire... Peux-tu développer ? Composer une BO t'intéresserait-il 

Rares sont les productions cinématographiques qui atteignent celles d’œuvres d’art totales et de haute poésie. Néanmoins quand elles y parviennent c’est du génie pur. Cette partie du cinéma de poésie, non conventionnel avec un type d’écriture personnel m’intéresse de près. La musique est pour moi indissociable de la magie visuelle, la force évocatrice peut y être très liée. Idéalement je me pose comme objectif de composer de la musique pour le cinéma indépendant et d’auteur ou autre, à étudier, je ne veux pas me restreindre. J’ai fait quelques tentatives dans le passé sur des courts d’animation et je vais travailler prochainement sur un film « d’anticipation » italien ou justement il est question de conscience poétique dans une période où c’est la dictature par les technologies et des formes inédites de totalitarisme qui priment. C’est un film très allégorique, à la croisée de l’expérimentation et de la science fiction. J’ai vraiment hâte de travailler sur ce projet.



                     




D'une grande force instrumentale, ta musique est pourtant l'écrin de très belles voix féminines...8) Tes deux derniers albums sont incarnées par la voix de Natalya Romashina notamment. Va-tu poursuivre le travail avec elle ?

Merci pour le compliment. J’apprécie avoir la sensation de narrer une histoire ou un conte lorsque je développe mes morceaux. Les envolées lyriques provenant de la voix, le côté déclamatoire voire incantatoire sont un plus incontestable pour parvenir à cette fin et susciter une invitation au voyage vers des pays étrangers, aux confins. La voix permet de mieux rendre compte de ces mondes et de renouer mon attachement à la poésie notamment symbolique, la seule véritablement attentive aux nuances intérieures. C’est par l’intermédiaire d’un ami commun que j’ai rencontré Natalya Romashina. De formation classique et artiste lyrique de talent entretenant un amour inconditionné pour l’âge d’argent, la poésie spirituelle de langue russe j’ai rapidement été charmé. Les premiers essais enregistrés ont été absolument sublimes et remarqués. Natalya est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’estime et d’admiration en tant qu’individu et artiste. L’alchimie musicale fonctionne spontanément donc naturellement la collaboration va se poursuivre pour les prochaines sorties.

Tu accordes une grande importance à l'aspect visuel et notamment à la photographie. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Le travail photographique et visuel fait partie intégrante du processus créatif. Il encourage l’auditeur à avoir une appréciation plus personnelle et pluridimensionnelle sur l’œuvre. Cela permet pour chaque album de créer un monde cohérent avec sa propre symbolique, sa propre histoire. Avec la prolifération du digital cette approche à la fois plus conceptuelle et concrète est considérablement altérée. Cependant je pense que le physique a encore de beaux jours devant lui, du moins tant qu’il y aura des collectionneurs. On appartient désormais à une culture du zapping, de l’instantané et de l’obsolescence programmée que je cherche à combattre, ça vaut pour toutes les sphères de la vie. 

Tes disques sont très différent les uns des autres, vois-tu une évolution depuis tes débuts ?

J’envisage ces publications à l’intérieur d’un développement naturel, au gré des rencontres, découvertes ou épreuves mais également en fonction de l’équipement que j’ai aussi à disposition. A cet égard je suis passé par plusieurs phases d’écriture, passant d’un style complètement dépouillé et épuré principalement basés sur des lignes, arpèges ou drones de piano à un style plus orchestré où se superposent plusieurs couches sonores obtenues à l’aide de synthèse, de sonorités instrumentales de type acoustique ou électrique. Pour ne parler que des albums longs "Under mournful horizon" (2012) est un premier essai qui pour le coup est à la croisée du néoclassique et de la musique post-industrielle. "Misty shroud of regrets" publié en 2013 annonce véritablement la couleur musicale du projet dans sa tonalité tragique, ses accents mélancoliques et ses recherches sonores énergiquement tournées vers la matière spirituelle. "Crystal sighs of a broken universe" (2014) insiste sur un côté plus ethereal-goth avec cette fois-ci une plongée plus entière vers la musique de film (notamment le cinema bis des 60s et 70s), le fantastique, les turbulences métaphysiques et la pénombre. "Prélude à l’âme d’élégie" (2015) est un hommage au spleen poétique mais peut également être perçu comme une longue plainte élégiaque se déroulant en plusieurs scènes. "Nihil Interdit » qui devrait paraître l’hiver prochain explore de nouvelles contrées tout en y mêlant ce côté vespéral, nocturne que tu as justement relevé.





La littérature est-elle une source d'inspiration ? Si tel est le cas, quels auteurs te guident ?

Je puise de façon insatiable dans la littérature qui me nourrit au quotidien. J’apprécie le courage, la force spirituelle, l’héroïsme moral et l’imagination débridée voire quasi frénétique de certains auteurs. J’adore le dandysme romantique (pas celui d’aujourd’hui qui est une farce, une posture ou plutôt une imposture) à la fois exalté et désespéré ainsi que les pointes d’autodérision, de critique et de transgression qu’on retrouve chez Barbier d’Aurevilly, Petrus Borel, le marquis de Sade mais également chez les poètes maudits (Corbière…) et les poètes russes de l’âge d’argent (Alexander Blok, Innokenti Annenski, Andreï Biely…). Le romantisme noir anglophone me passionne également par son charme descriptif, ses intrigues mystérieuses pour ne pas dire terrifiantes et ses monologues intérieurs, je pense notamment à Charles Maturin, Matthew Gregoy Lewis et Anne Radcliffe. 

Quels sentiments souhaites-tu déclencher chez l'auditeur ?

Je cherche avant tout à communiquer des émotions, à mettre ce monde entre parenthèse et à rafraichir nos sens. Je suis assez d’accord avec l’optique tolstoïenne qui consiste à concevoir tout art authentique dans la transmission d’un contenu spirituel, contrairement à une forme contrefaite d’art qui ne cherche qu’à divertir et à étourdir.

Ton projet demeure modeste, discret : es-tu déçu ou cela te convient-il, estimant qu'il ne peut être qu'un trésor connu d'une poignée ?

Les temps sont durs, certainement ingrats et éreintants mais personnellement je ne me plains que légèrement, tant que je peux publier ce qui me plaît en toute indépendance et que la musique circule par le biais le plus simple et le plus direct, le bouche à oreille. La musique est entrée dans un tel business que pour l’underground ou des styles alternatifs il devient de plus en plus difficile de se faire une place ou simplement entendre. Heureusement il y a aura toujours des webzines tenus par des vrais passionnés, quelques festivals, radios communautaires et des labels indé pour promouvoir des travaux aux contours stylistiques moins définis, moins archétypaux et logiquement moins susceptibles d’intéresser la majorité. D’autre part dans le marasme des productions actuelles et notamment du DIY, tout est permis, le meilleur comme le pire. La magie et le fléau d’internet à la fois. Pour véritablement émerger il reste une part de chance ou tirer véritablement son épingle du jeu quitte à œuvrer en solitaire un moment.

Apprécies-tu certains groupes de metal ? Je pense notamment à des groupes de doom ou le funeral doom avec lesquels tu pourrais partager certaines émotions...

J’ai eu une brève période métal durant mon adolescence ou je me passionnais entre autres pour la musique de Bathory que je trouvais innovante et radicalement écorchée, surtout sur « Blood, fire, death » et dans une moindre mesure sur « Hammerheart ». J’ai également écouté certains groupes de doom plutôt classiques (Saint Vitus, Burning Witch, The wounded kings…) que funereal mais pas avec insistance. Je m’y replongerai à l’occasion. Je trouve que la communauté métal est probablement l’une des plus ouvertes qui soit contrairement aux préjugés en vogue. Un nombre important de webzines métal réserve une place et un accueil favorable aux musiques obscures et expérimentales comme le dark ambient. Beaucoup d’anciens métalleux se tournent vers ces styles plus intimes et confidentiels après parfois être arrivés à « saturation » (sans jeu de mot) avec leur style de prédilection. Bien qu’il y ait des exceptions on ne peut pas en dire autant pour la culture neo-gothique niveau ouverture d’esprit. En ce sens je pense que tu as raison et qu’il se dégage une fibre émotionnelle commune.  




                    

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