17 avril 2019

KröniK | Esben And The Witch - Nowhere (2018)


Lorsque le doom atmosphérique se conjugue au féminin, cela aboutit à une musique parmi les plus belles qui soient, que l'on songe aux premières explorations de The 3rd And The Mortal ou du méconnu Skumring, par exemple. Esben And The Witch creuse ce sillon à la fois granitique et fantomatique. Mais les Anglais (installés à Berlin) possèdent toutefois une identité qui leur est propre, façonnée par une poignée d'offrandes depuis dix ans. Cette personnalité froide et intimiste doit autant aux lignes vocales douloureuses de la bassiste Rachel Davis, qui ne sont pas sans rappeler celles de PJ Harvey, qu'à ce maillage instrumental, pulsatif et ombrageux et cette manière qui n'appartient qu'à eux de libérer une tension souterraine qui couve sous une surface faussement limpide nimbée d'un suaire mystérieux comme venu du fond des temps.

Bien que mouvante, cette signature a été fixée par "Older Terrors", quatrième opus grâce auquel nombreux sont ceux à avoir découvert le trio. "Nowhere" s'inscrit dans sa continuité, feutré et avalé par une obscurité tentaculaire. De fait, le groupe reste fidèle à son art orageux, qui dérive entre doom boisé, rock atmo dépouillé et post punk crépusculaire, le tout embrassé par une mélancolie volcanique. Tout en contrastes, l'œuvre est tout du long écartelée entre beauté évanescente et noirceur terreuse, calme aérien et vibrations telluriques. D'une apparence épurée, chaque titre repose sur une trame prolifératrice, vibrant sous les coups de boutoir de musiciens connectés aux entrailles d'un désespoir qu'on devine inexorable. A chaque fois, plusieurs plans sont visibles. Le premier est incarné par le chant de la jeune femme, brumeux et bouleversant, pinceau d'une tristesse insaisissable. Derrière, les instruments tissent une toile qui semble tout d'abord lointaine mais qui gagne peu à peu en consistance, à l'image du paroxysmique 'A Desire For Light' que vrillent des guitares abrasives au goût de rouille. Le fragile 'Dull Gret' que domine la voix expressive de Rachel sur fond de roulement de toms et de cordes déglinguées ou ce 'Seclusion', respiration étouffée qui gronde néanmoins d'une puissance sourde, illustrent à leur tour cette écriture tumultueuse qui culmine lors du terminal 'Darkness (I Too Am Here)', à la fois pesant, déchirant et mystérieux. Ce faisant, Esben And The Witch  fouille les recoins les plus sombres d'une nature chargée de mythes et de fantômes. Avec "Nowhere", les Anglais accouchent d'une œuvre sombre aussi envoûtante qu'intemporelle, qui baigne dans une ambiance de magie obscure. (24/11/2018) ⍖⍖⍖






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