La kosmische muzik allemande des années 70 n'a rien perdu de sa force d'évocation ni de son pouvoir de fascination, expliquant pourquoi des musiciens d'aujourd'hui ne cessent de lui rendre encore hommage. On pense à Dirk Jan Müller (Electric Orange) dont le vaisseau solitaire, Cosmic Ground, explore les froides contrées du Tangerine Dream de la période Pink, soit la plus hermétique. De cette figure tutélaire de l'école berlinoise, il est aussi - et bien sûr - question avec E-Musikgruppe Lux Ohr, groupe finlandais qui figure parmi ses héritiers les plus passionnants. Lequel illustre par ailleurs que le doom mène à tout, même au rock progressif ou du moins à son pan le plus spatial, puisque la présence dans ses rangs de Kimi Kärki, ancien guitariste de Reverend Bizarre et actuel Lord Vicar, en a ferré beaucoup vers ce projet qu'il anime depuis une bonne dizaine d'années avec Ismo Virta, Jaako Penttinen et surtout Pertti Grönholm, qui en signe la majorité des compositions. Deux vols (in)habités plus tard, "Kometenbahn" (2013) suivi de "Spiralo" (2014), les Scandinaves sont enfin de retour avec "Non Plus Ultra", double ration synthétisant le meilleur de cette musique cosmique antédiluvienne et pourtant ô combien intemporelle. Fruit d'un long travail d'écriture et d'enregistrement étalé entre 2016 et 2019, masterisé par le légendaire Joachim Heinz Ehrig, plus connu sous le sobriquet de Eroc, ancien batteur et leader de Grobbschnitt, c'est à un véritable voyage de plus de 80 minutes dans l'immensité infinie de l'espace que nous convie ce troisième programme.
L'énoncé des instruments utilisés, synthétiseurs, Mellotron et autres séquenceurs, suffit déjà à nous transporter très loin, arsenal fantasmé nous évoquant les pionniers du rock électronique, parmi lesquels se glisse Manuel Göttsching dont la guitare stellaire recouvre de son ombre ondulante les lignes tissées par Kärki ('Die Suche Nach Dem Horizont'). La longueur de ces huit pistes seulement nous fait également rêver. Tutoyant souvent les dix minutes (voire plus pour certaines d'entre elles), elles sonnent comme la promesse de périples démesurés, expéditions lancinantes à travers des mondes inconnus que l'on découvre par petites touches grâce à ces cosmonautes dont les engins matérialisent ces paysages à la beauté énigmatique. S'ils s'inspirent des travaux de leurs glorieux aînés, Grönholm et ses compères ne s'abîment à aucun moment dans la simple photocopie, aussi précise soit-elle. Leur intelligence combinée à un talent rare, tout en leur dictant une expression du genre extrêmement fidèle, leur permet surtout de capturer l'essence de ce qu'était le krautrock dont ils livrent une somme, hypnotique parfois ('Hypnogenesis III' et ses oscillations obsédantes), mélancolique et désolée aussi ('Traumraum'), propice à une excursion dans un désert orientalisant ('Aus Dem Kollaps Geboren'), mystérieux ('Der Doppelgaenger') et envoûtant ('Die Vergangene Zukunft' qui cite le Klaus Schulze époque "Moondawn" et "Mirage") toujours. Malgré sa durée épique, "Non Plus Ultra" n'ennuie jamais car le groupe sait nous entraîner dans son sillage grâce à des mélodies rêveuses qui bercent autant qu'elles fascinent ('Bahnoff 77'). Pavé sonore, "Non Plus Ultra" apparaît à la fois comme un condensé, une définition de la kosmisch musik et un aboutissement pour E-Musikgruppe Lux Ohr dont on voit mal comment il pourrait faire mieux dans le futur, aller au-delà cette galaxie électronique, semblant impossible... (24.03.2020 | Music Waves) ⍖⍖⍖⍖
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