22 décembre 2018

Camecrude | Enclave I. (2018)


Plus il progresse plus Enclave I. s’abîme dans la démence, déroulant un labyrinthe dont l’auditeur n’a pas la clé. Et son auteur non plus…

Il existe des albums, de plus en plus rares, qui creusent de profonds stigmates dans la mémoire, qui remue les boyaux comme une sonde chargée de vous ausculter pour dépister des tumeurs. Leur écoute laisse un goût amer en bouche et suinte des remugles malsains qui la rendent peu confortable. Pourtant, l’envie d’y retourner est au moins aussi grande que le malaise que ces créations inspirent, agissant comme un aimant mortifère. Celles-ci n’en sont que plus précieuses. Enclave I. compte ainsi parmi ces opus qui ne peuvent laisser indifférent, qui se vivent, se ressentent plus qu’ils ne s’appréhendent comme de simples collections de chansons.
Des morceaux, il y en a bien, dans cette masse grouillante de sonorités et de bruitages hallucinés mais, au nombre de six, collés les uns aux autres comme les différentes parties d’un corps humain entre les mains d’un sinistre baron, ils s’assemblent en un tout déglingué que l’on ne peut toutefois découper, séparer, au risque de le vider de sa substance trouble et dérangeante. Violé par les émanations oppressantes d’un harsh noise mâtiné de drone dissonant, sa défloration est pénible. Et grande est la tentation d’abandonner en cours de route l’immersion dans ses entrailles gangrenées par une folie contaminatrice. Car seul un esprit torturé a pu accoucher d’un tel pandémonium strident. Son géniteur, tapi derrière le nom de Camecrude, est Valentin Laborde, musicien pratiquant la vielle à roue et installé dans les montagnes pyrénéennes. De ce cadre et folklore géographiques, il extrait la dimension rituelle qui ronge un art marqué par la souffrance, par la douleur, jusque dans sa chair. Des incantations occitanes se mêlent aux mots écrits par Emil Cioran dans lesquels il puise un humus dépressif afin de cultiver les tourments qui le rongent (‘A l'Endarrèr çò de Maudit’). D’une certaine manière, Enclave I. est une œuvre plus égoïste que personnelle tant elle semble n’avoir été enfantée que pour seul auteur, qui y a convoqué tous ses démons réunis à travers ces images cauchemardesques et désincarnées (‘Variations sur la mort’). De fait, il y a presque quelque chose d’impudique à pénétrer cet album dont on repousse les portes comme les lèvres ténébreuses d’une caverne intime. Du coup, on prend en pleine face, en pleine âme, ce torrent de mal-être qui se déverse comme une bile corrosive. On ne sort donc pas indemne d’une telle perforation d’autant plus que celle-ci parait interminable. L’offrande donne l’impression d’être beaucoup plus longue qu’elle n’est en réalité, tant elle se répand comme une marée toxique. Dans les profondeurs de son âtre crépite un magma sonore démentiel qui allie la noirceur apocalyptique du harsh noise et la beauté souterraine de l’ambient. Car il est permis de déceler de la beauté qui s’écoule de ces fentes obscures et des psalmodies du maître des lieux (ce 'Te Dobti' qui égrène une décrépitude envoûtante). Reste que plus il progresse plus Enclave I. s’abîme dans la démence ('l'ombre de soi'), déroulant un labyrinthe dont l’auditeur n’a pas la clé. Et son auteur non plus… Son titre semble promettre un second chapitre : d'avance, on frissonne d'un effroi mêlé d'un bonheur masochiste... (12/12/18)


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