Gravé
entre décembre 1999 et janvier 2000, "Shades Of...", première marche
funèbre de Shape Of Despair, marque d'une certaine manière la fin d'un chapitre
puisqu'il est l'aboutissement d'un long processus entamé presque cinq ans plus
tôt lorsque le groupe a vu la nuit sous le nom de Raven, accouchant notamment
d'une démo demeurée inédite, "Alone In The Mist" dont quatre des cinq
pistes seront réenregistrées à l'occasion de cette offrande séminale. En 1998,
la formation change de nom mais conserve une véritable aura d'inconnu, entité
qui semble échappée d'un épais brouillard, habitée par des créatures dont on ne
sait si elles sont vraiment humaines. Celles-ci ne viennent-elles pas plutôt
des limbes elles-mêmes ? La question mérite d'être posée car comment
pourrait-il en être autrement lorsqu'on est capable de composer une telle
musique ? Si le funeral doom finlandais n'est pas né avec cet album, ceux
de Thergothon, Unholy et Skepticism
l'ayant précédé, il n'en est pas moins vrai qu'aucun groupe n'était allé aussi
loin dans la lenteur pétrifiée, repoussant ainsi les limites de la
mortification. Ce faisant, Shape Of Despair attire le doom, dont son art n'a
finalement que le nom, aux confins de l'ambient. Jamais peut-être une partition
n'avait paru si fantomatique au point d'être presque insaisissable. Une telle
langueur glaciale est inédite. Avec un sens de la répétition monotone aussi
absolu qu'admirable, le groupe parvient à capter cette ambiance teintée
d'étrangeté nappant ces paysages septentrionaux. Découvrir à l'époque un titre
tel que '... In The Mist' laisse à vie des stigmates dans la mémoire,
interminable dérive qui confine à une forme de transe hypnotique, évocatrice de
bateaux figés dans une brumeuse mer de glace. Loin du romantisme qui drapera
leurs créations suivantes, les Scandinaves étendent une trame extrêmement
sinistre et obscure, laquelle doit beaucoup de son caractère lugubre, quasi
inhumain, au chant masculin, borborygmes caverneux qui percent le blizzard à
intervalles irréguliers, et qu'accompagnent de spectrales mélopées féminines, à
la fois belles, pures et sombrement éthérées. Nombreux sont ceux à estimer, à
tort peut-être, que Shape Of Despair ne fera jamais mieux par la suite, perdant
en chemin une partie de cet éclat sinistre, que cet opus matriciel devenu culte
chargé d'une atmosphère très particulière qui n'appartient qu'à lui,
chef-d'œuvre d'un funeral doom sinistre et boisé. 4/5 (2015)
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