Rouen. Son port, sa cathédrale peinte par
Monet, sa scène metal dynamique, véritable vivier de talent : Ataraxie bien
sûr, mais aussi Fatum Elisum, Funeralium, Hyadningar... Et puis il y a Yuck. Yuck, que
peuplent des musiciens issus notamment de Hyadningar justement et dont Asgeirr
de Fatum Elisum m'avait dit le plus grand bien en interview. Je comprends mieux
pourquoi maintenant. Yuck, c'est un effroi pour les journalistes et à
fortiori pour les labels car il est impossible de le séquestrer dans une case
étriquée et bien définie. Il s’affranchit des carcans, des étiquettes. Le nom,
déjà, court et intriguant, s'il ne nous renseigne pas sur le contenu de la
chose est cependant un indicateur : quand certain choisissent de s'appeler
Satanic Sodomy ou Pustule Incinerator, eux optent simplement pour ces quatre
lettres. Do It Yourself, dont l'écrin visuel est à l'image de l'ensemble,
surprenant donc, est la première exploration du groupe, après une démo gravée
en 2002 (Miscarriage). La décrire relève de la gageure. Agglomérat de onze
pistes, c'est un magma bouillonnant, fiévreux où copulent avec frénésie toutes
sortes d'influences, bouillon de culture improbable et néanmoins pertinent.
Leur source d'inspiration semble intarissable. Un exemple ? Le chant possède
une tessiture parfois très black metal à la norvégienne comme il peut être
rugueux façon "j'ai avalé cul sec la bouteille de Destop et semble vouloir
alors arrimer alors Yuck au doom/sludge US. Le périple débute avec
"The Smel Of Cold" dont l'intro se nourrit du post rock instrumental
à la Caldera, Capricorns, avec lequel le groupe partage cette mélancolie
prégnante. Mais très vite, dès l'arrivée, des raclements de gorge de Jérémie,
on est happé dans un tourbillon hallucinant aux multiples cassures. Tout du
long, les riffs déversent une tristesse plombée, tandis que les lignes vocales
s'enfoncent de plus en plus dans une inexorabilité poisseuse. Sans espoir.
Puis, les roulements de batterie entraînent le titre dans une mort
progressive. Plus court, "Virus" exsude une urgence palpable,
sorte de brûlot thrash et ferrugineux, toutefois lui aussi perturbé par une
guitare au son déglingué et un chant presque vindicatif. Bref, à la ligne
droite et rassurante, Yuck préfère toujours la courbe, le chemin de traverse.
La difficulté. Chaque compo est gangrenée par une multitude de motifs, chacune
emprunte plusieurs directions à la fois. Mais là où des médiocres ne
réussiraient qu'à aller nulle part, les Normands ne perdent jamais leur fil
conducteur et au contraire débouchent toujours sur le miracle,
l'équilibre. Car loin de se limiter à un empilement de strates
successives, ces titres se parent d'une fluidité admirable et ce, en dépit même
des césures qui les zèbrent, comme l'illustre l'agressif "Nunc Umbra, Mox
Gloria", décharge électrique d'une intensité assommante. De même
"Hermit" est une manière de leçon entamée dans une ambiance (faussement)
calme avant d'ouvrir la porte vers un paysage noir et ravagé d'un black metal
rapide et obsédant qui ne file jamais droit. Et après le pesant et gras
"Mine Is Bigger", Do It Yourself atteint son Everest avec le
monumental "Denying The 3", dont la puissance hallucinée, la folie
destructrice renvoient toutes les faces de goules grimées à la truelle dans le
bac à sable de la maternelle ! Avec toujours, cette façon d'injecter à une
plastique à première vue classique un détail, un phrasé empruntés à d'autres
courants musicaux, témoin ce solo de guitare qui illumine son final. De
l'épileptique "Decline" et sa rythmique implacable au squelettique
"To Redemption", respiration désespérée miné par un mal être véhiculé
par une voix féminine loin de la jeune vierge éthérée, sans oublier
l'accouplement brutal "Right To Live", la litanie peut se poursuivre
jusqu'aux ultimes mesures d'un album singulier et inclassable aux confins du
doom, du death, du black, du thrash, du hardcore et qui pourra de fait tout à la
fois plaire à un large public comme il pourra au contraire n'en toucher
aucun... Mais c'est ce qui lui confère une bonne partie de son charme. 4/5 (2009)
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