Plus les années passent plus Enslaved,
groupe majeur de la scène black metal norvégienne à laquelle il est toujours
associé, largue à chaque nouvelle sortie d’album un peu plus les amarres de
celle-ci. La voix hargneuse de Grutle demeure désormais le dernier oripeaux de
son passé extrême… et encore, le chant clair du bassiste, combiné bien souvent
à celui du claviériste Herbrand Larsen, tend à manger de plus en plus d’espace
au détriment du premier. Preuve en est donné avec Vertebrae dont le titre d’ouverture, le
majestueux “ Clouds ”, où les lignes vocales black ne surviennent
qu’au bout de deux minutes environ, ne noue donc que peu d’attaches avec l’Art
Noir. Ce dixième opuscule poursuit le chemin creusé par son acclamé prédécesseur, Ruun,
qui a clairement marqué un tournant sinon une évolution essentielle dans le
style du groupe lequel, a maintenant atteint une maturité évidente en terme de
composition. D’une grande densité, tendus comme des verges turgescentes, les
titres sont plus ramassés qu’autrefois et oscillent tous entre cinq et sept
minutes (hormis pour “ The Watcher ”). Les longues épopées épiques
qui émaillaient les furieux Below The Light ou Isa ont
de fait disparu, tout comme les accélérations frénétiques pour laisser la place
à de petites merveilles d’équilibre et d’écriture au tempo souvent envoûtant. Mais
ce qui frappe d’entrée de jeu, c’est ce son massif et minéral qui érige un mur
de granite, ainsi que cette capacité que déploie Enslaved à faire
tourner à chaque fois l’entame des morceaux durant de longues minutes,
comme en témoigne le superbe “ Reflection ”, néanmoins un des plus
violents du lot. Sans être un concept-album, il n’en demeure pas moins que Vertebrae doit être appréhendé non pas
comme une brochette de chansons mais comme un bloc brut, compact et homogène
avec un début et une fin, chacun des huit titres ne pouvant être interverti. Un
peu à la manière de ce qui se faisait durant les années 70, période bénie
qui sert plus que jamais de combustible pour nourrir l’inspiration d’Ivar
Bjornsson, principal compositeur de l’entité et qui prouve encore une fois son
amour pour le rock progressif antédiluvien. Comment à ce titre, ne pas penser à
King Crimson dès que des nappes d’orgue répandent leurs atmosphères
brumeuses ? Comment ne pas évoquer Pink Floyd et David Gilmour à l’écoute
de ces lignes de guitares aériennes qui parviennent à se frayer un chemin au
sein d’une musique pourtant des plus massives ? Le fait d’avoir
recruté le mythique George Marino pour assurer le mastering de l’album n’est du
reste pas anodin tant Enslaved souhaitait habiller son travail d’une patte
vintage sans pour autant paraître désuet. Bien au contraire, proches dans
l’esprit, plus que dans la lettre, de formations ambitieuses et novatrices
telles que Opeth, Neurosis (on y pense également beaucoup), Tool (dont ils
partagent le producteur depuis Ruun) ou toute la scène post rock
qu’admire particulièrement le Viking, les Norvégiens façonnent un art
évolutif qui s’affranchit, depuis le matriciel Monumension en 2001, des modes et des
genres. Encore un chef-d’œuvre qui, vous le constaterez, ne révèle sa
foisonnante richesse qu’à force de multiples aller-retour dans cet édifice de
pierre taillé avec puissance et finesse. 4/5 (2008)
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