Trondr
Nefas est un musicien étonnant. Stakhanoviste effréné qu’un seul groupe ne
saurait contenter, il développe avec Urgehal, Vulture Lord ou encore Beastcraft
(pour ne citer que quelques uns des projets qui l'occupent), une vision
orthodoxe de l’art noir, puissante et primitive. Mais loin de certains
Ayatollahs qui estiment que le genre ne doit surtout pas évoluer et donc se
contenter de suivre le dogme, il n’a pas peur non plus d’utiliser le Black
Metal comme un laboratoire ouvert sur toutes sortes d’expériences et de
mariages à priori improbables. Malgré la proximité qu'il noue avec Angst
Skvadron, son propre vaisseau spatial vers les étoiles progressives et
psychédéliques, In Lingua Mortua, que le musicien habite avec sa guitare et
(parfois) son chant râpeux, se présente avant tout comme le joujou de son
compère dans Endezzma et Angst Skvadron, le multi-instrumentiste Lars Frederik
Frøislie, également boss du label Termo Records qui publie d’ailleurs cette
seconde exploration, produite et mixée par ses soins. Trois ans après
l’intéressant Bellowing Sea - Racked By Tempest, Salon des refusés repousse
encore plus loin les barrières et, ce faisant, brise franchement les carcans
qui corsètent encore (bien trop) le genre. A un substrat très Black, fait de
voix de gargouilles, de riffs pollués (presque burzumiens lors des premières et
ultimes mesures de « Cold Void Messiah », rampante plainte terminale) et
d’atmosphères sinistres et froides comme une nuit d’hiver, In Lingua Mortua
n’hésite pas à greffer des notes de Mellotron hantées digne du King Crimson des
années 70 (« Open the Doors of Janus »), du Mini Moog, de la clarinette (?)
voire même du saxophone (comme sur le furieux « Full Fathom Five » notamment). Rien
ne fait peur à ces téméraires du son, épris de liberté artistique et qui
démontrent avec panache que le Metal noir n’est pas forcément qu’une chapelle
figée dans ses propres codes. « Darkness » et « Like the Ocean », pour ne citer
que deux exemples, ont ainsi quelque chose de voyages hallucinants d’une
démesure baroque qui traversent des territoires à la géographie accidentée. Si
les Norvégiens ne sont pas les premiers à tenter de (re)travailler le genre, de
le sculpter comme une roche malléable, de lui injecter des influences
progressives seventies (on pense notamment à Enslaved), eux réussissent la
gageure de ne jamais mettre leur brutalité en jachère, à l‘image de la saillie
rustre et courte "Into the Mincer". Bien au contraire, leurs
compositions, empilements très denses de strates multiples, sont irriguées par
un fluide vicieux qui leur confère une décrépitude obscure et infinie. Animé
par une poignée d’invités de luxe dont les chanteurs Kvarforth (Shining) et
Thebon (Keep Of Kalessin), Salon des Refusés déroule un menu extrêmement riche,
que balisent deux pistes instrumentales (le foisonnant « Catharsis » et «
Electrocution », aux teintes sombres et orchestrales), capable autant de
rebuter ceux qui préfèrent davantage de simplicité que de séduire au contraire
les amateurs de figures progressives que n’effraient ni les bouillons de culture
ni la violence de modelés saignants. Les intégristes se pinceront le nez mais
les Norvégiens pourraient bien toucher un public plus large. (2010)
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