7 septembre 2016

Interview | Deathcode Society (Septembre 2016)




Rencontre avec Arnhwald, principal instigateur de Deathcode Society, auteur d'un "Eschatonizer" d'excellente facture.

Childéric : Six années se sont écoulées entre votre démo et ce premier album : que s'est-il passé pour le groupe entre les deux ? 

Arnhwald : A la fois beaucoup et peu de choses. Peu parce que nous n'avons que très peu avancés sur la composition de notre album ; un certain nombre de membres étaient très occupés, nous étions un peu à la remorque de notre chanteur de l'époque, qui jouait dans un groupe dont l'actualité, riche, ne lui permettait pas d'être réellement avec nous. Il était impossible, dans ces conditions, d'aller de l'avant.

Beaucoup après 2010/2011 et la refonte du line-up : nous avons composé, enregistré et mixé l'album, grosso modo, en trois ans, ce qui a représenté un travail de forçat, sans parler des efforts à fournir pour parvenir à une juste maîtrise instrumentale. Tout ce labeur paie aujourd'hui, mais ce furent des années intenses.

La démo a été plutôt remarquée. Vous a-t-elle servi de base de travail pour l'album ?

Oui. Pour le coup, c'est vraiment une « démo », elle nous a à la fois servi de point de départ et de pierre de touche : nous n'avions pas le droit de faire moins bien. C'est très sain d'établir dès le début des standards élevés. « Ite Missa Est » - la démo en question – nous a aussi appris à identifier nos faiblesses, et d'y remédier.

On aime à vous comparer à Anorexia Nervosa : que pensez-vous de cette comparaison ?

Elle est pertinente : ce groupe fait sans contestation possible partie de nos influences, il n'y a pas à s'en cacher. La haine incandescente qui se dégage de Drudenhaus ou New Obscurantis Order me fascine. Ils avaient une façon unique d'être extrêmes, et pour la première fois, une façon j'oserais dire française de l'être qui ne confine pas au ridicule, bien au contraire !

Comment vous-êtes vous retrouvés chez Osmose ?  On peut imaginer que voir son album édité par ce label représente beaucoup de choses... Avez-vous démarchez d'autres labels ?

Nous n'avons démarché qu'Osmose. Au début, ils n'étaient pas super enthousiastes, je crois que le premier morceau n'avait pas emballé Hervé. Parallèlement, un pote leur a envoyé un autre morceau, sans d'ailleurs que nous ayons été mis immédiatement au courant, enfin bref, c'est la petite cuisine de la coulisse – et là il semble que l'on ait tapé dans le mille. 

J'ai toujours eu un immense respect pour ce label. Je n'aime pas tout ce qu'ils ont sorti, loin de là, mais une chose est certaine : tout ce qu'ils signent possède une qualité viscérale. Des tripes. Nous avons donc été extrêmement fiers de rejoindre l'écurie, qui correspond à ce que nous aimons dans le metal extrême : pas de compromis, pas de quartier. Quand Hervé a proposé de s'occuper de ce disque, nous n'avons pas jugé utile de chercher d'autre boutique.


                                   


Comment s'est déroulé le travail avec Dave Otero ? Quels albums sur lesquels il a bossé vous ont donné envie de collaborer avec lui ?

Un grand nombre de choses, depuis que le groupe existe, nous ont dépassés. Initialement sans contrat et sans moyens, nous avons organisé, pour financer la production de l'album, une campagne Indiegogo qui n'a pas obtenu un immense succès. Un jour pourtant, je reçois un mail de Dave Otero, qui disait en substance : « j'ai adoré votre démo, c'est la meilleure chose que j'aie écouté dans le genre depuis 15 ans – je ne peux pas vous donner de sous, mais par contre je peux vous aider à produire le disque ». Sans rentrer dans les détails, Dave nous a offert des conditions de travail uniques, et nous a montré que l'on pouvait être à la fois professionnels et passionnés. Nous avons enregistré le disque nous-mêmes, dans plusieurs studios, et avons réalisé le mixage en collaboration avec maître Otero, à distance. Et le résultat, comment dire … J'ai un peu de bouteille dans le milieu, mais c'est la première fois que je réalise un disque dont la production me satisfasse. C'est EXACTEMENT ce que nous voulions. L'ironie, c'est qu'avant toute cette aventure, je ne connaissais pas le travail de Dave ; c'est un type extrêmement talentueux, à l'écoute, un producteur très versatile, capable de s'adapter à tous ses clients. A l'heure actuelle, c'est l'un des tout meilleurs. Nous avons profité d'une chance providentielle.



Vos compos sont particulièrement dense. Peux-tu détailler le processus d'écriture ?

J'écris tout, ou presque, en commençant par la guitare et la batterie – je programme une partie sommaire en midi pour accompagner les riffs que je compose, partie que l'on peaufine ensuite en studio. Chaque guitare joue sa partition ; je veux dire par là que je tiens à ce que les deux parties de guitares se complètent, il y a très peu de moments où elles sont à l'unisson – elles le sont quand il le faut, mais très souvent l'écriture est contrapunctique. La basse vient ensuite, le chant et les arrangements, instruments d'orchestre, synthés électroniques, etc. Pour l'album que nous écrivons en ce moment, nous zappons l'étape de la préproduction. Je possède du matériel d'enregistrement, par conséquent, j'enregistre les guitares au moment où je les compose : cela va nous faire gagner énormément de temps et d'énergie.

Les quelques polyphonies vocales qui parsème « Eschatonizer » ont été composées un peu au milieu de tout cela : il m'a fallu tout apprendre, dans des livres, et écouter des centaines d'heures de « grande musique » - contrairement à pas mal de groupes qui introduisent des éléments « symphoniques » dans leur musique, les BO de film n'ont aucune influence sur ma manière d'appréhender l'écriture ; elles m'emmerdent même à mort et je préfère largement me perdre en écoutant une messe de Palestrina ou, à l'autre bout du spectre, une symphonie de Bruckner qu'un truc dégueulasse de Hans Zimmer ou, pire, le scoring pouèt-pouèt de l'héroïc-fantasy hollywoodienne. A vrai dire, tout cet héritage, la musique occidentale dite « savante », est une inépuisable mine d'idées grandioses. L'une des originalités du groupe tient, je pense, au fait que nous aimons fouiner et creuser dans cette mine, nous imprégner des grands chefs d'oeuvres, mais aussi déterrer des travaux secondaires, jugés mineures quelquefois, fondre dans notre petit volcan ces éléments oubliés ou négligés de notre patrimoine. Je considère presque « Eschatonizer » comme la « somme » d'une espèce d'hurluberlu (le metal exrême est et devrait rester une musique marginale et déraisonnable), l'aboutissement de recherches extra-académiques menées par un fantaisiste.

Cela correspond aussi à ce que j'aime dans le metal, cet aspect « brut », très pur et innocent malgré ses prétentions démoniaques, au sens que lui donnait Dubuffet. Cela m'amuse de comparer notre travail à celui d'un bâtisseur de cathédrale qui utiliserait uniquement des des déchets, des matériaux de rebut légués par une civilisation en ruines en les assemblant au gré de ce que lui suggèrent son goût et sa sensibilité. Le pendant musical et pervers du palais du facteur Cheval.


L'album est maintenant sorti depuis presque un an. Son accueil vous a-t-il satisfait ?

Nous avons eu d'excellents retours critiques, quelques satisfactions extraordinaires comme celles de jouer nos morceaux à Oslo au Inferno Festival, et le lendemain à Stockholm ; nous avons pu faire quelques concerts sympas, sortir de notre cave. Maintenant, on ne va pas se mentir : tout reste extrêmement modeste et underground. Nous sommes peu connus, et l'album reste somme toute confidentiel. Tout reste encore à faire.

Avec le recul, que changeriez-vous ? Avez-vous lu des critiques négatives ? Et si oui, que vous reprochait-on ?

Avec le recul, je rechanterais peut-être le disque. Je l'ai enregistré alors que j'étais moins bon que je le suis aujourd'hui – je redirai sans doute la même chose pour le prochain, ce qui est positif d'ailleurs puisque cela montre que nous progressons. Et si nous avions eu des moyens plus conséquents, les instruments d'orchestre n'auraient pas été joués par des logiciels lecteurs d'échantillons... Mais ce n'est pas le même prix...

Naturellement, nous avons lu quelques critiques négatives. Elles se répartissent en trois groupes : ceux qui trouvent notre musique un peu « over the top » et préfèrent les choses plus directes, ceux qui ont écouté l'album d'une oreille distraite et n'y ont rien compris, et ceux, plus rares, dont on a peine à comprendre pourquoi ils ont hérité de la chronique (un rédacteur grec admet même qu'il n'aime pas le black metal – c'est gênant). Nous sommes évidemment très touchés quand de bonnes critiques sont publiées, mais dans la mesure où les retours négatifs ne nous semblent pas toujours pertinents, nous nous en tamponons.

Il y a de nombreux invités : de quelle manière s'est déroulé leur participation ?

Le plus naturellement du monde. St Vincent est un ami très proche – je suis allé l'enregistrer à Grenoble. Rose Hreidmarr est aussi un bon pote – lui a enregistré à Paris, de son côté. Ben (ex-Sybreed) était notre ancien chanteur. Il m'a juste suffi de lui passer un coup de fil pour qu'il débarque au studio. Pour Sam Meador (Xanthochroid), ça s'est fait à distance ; quand à Ivar Bergelin, il nous avait envoyé un jour une cover de « The Inner Vortex », que nous avions trouvé tellement convaincante que nous lui avons demandé de remettre le couvert sur une autre chanson.
A tous ces gens, nous avons envoyé des démos des morceaux. Ils sont bons, ils ont donc fait du bon travail et nous sommes extrêmement heureux d'avoir leurs voix sur notre disque.



Avez-vous déjà démarré l'écriture du prochain album ? 

En effet ! Il est peut-être un peu trop tôt pour en parler, mais nous avons mis en chantier quelque chose d'ambitieux et, j'ose le croire, d'original. Deux morceaux sont terminés, dans la droite ligne de ce que nous avions écrit de plus costaud avec « Eschatonizer » il me semble. Les atmosphères seront sans doute plus profondes, le tout est écrit pour accentuer la densité émotionnelle de la musique. Beaucoup plus de paroles en Français, également (plus des deux tiers du disque).

Votre maîtrise est impressionnante : quel est votre parcours ?

Nous jouons de la musique depuis le début des années 90 et avons évolué, chacun à notre manière, dans des formations aux destins plus ou moins obscurs, mais toutes caractérisées par une grande exigence technique. Nous avons fait nos classes, et nous avons beaucoup travaillé et joué. La musique, pour nous, représente plus qu'un hobby : elle nous consumait l'âme avant même que nous fussions devenus des hommes.

Un mot sur la cover de Judas Priest qui loin de dépareiller se fond très bien dans l'ensemble ?

J'adore « Painkiller », et « Metal Meltdown » était un joli défi à relever. On pouvait de surcroît l'arranger un peu à notre sauce, ajouter des instruments pour renforcer l'atmosphère de fin du monde qui lui colle à la peau. Vocalement, c'était aussi un beau challenge, et puis il est normal que nous payions tribut à un disque qui, pour moi comme pour mes compères, incarne parfaitement la rugosité, la démesure et, allez, tout le « grotesque » du metal.

Bien qu'inspiré par le black sympho du débuts des années 2000, vous restez quand même très ancré dans une certaine modernité, autant en terme de son que d'écriture. Qu'en pensez-vous ?

Je ne suis pas certain que nous soyons réellement un groupe de black metal. Nous avons effectivement des influences marquées, que nous ne cherchons pas à dissimuler, et la seconde vague du BM scandinave représente l'un des fondements de notre identité musicale.

Mais, comme je l'ai dit précédemment, on ne peut résumer DCS à cela. Le souci d'une production puissante et limpide, l'obsession d'une musique ciselée, certaines grosses rythmiques montrent que, du moment que le truc peut prendre à la gorge avec classe, nous ne refusons pas les sonorités contemporaines au nom d'une forme de « purisme » très éloigné de nos vues.

La religion semble être un thème central chez-vous. Ce sujet vous intéresse-vous particulièrement ou bien pensez-vous qu'il reste un invariant indispensable au black metal ?

Le black metal, à mon sens, traite du mal métaphysique, le mal en tant qu'essence, qu'idée, et pas forcément en tant que phénomène. Il est fatalement amené à interroger le sacré, fût-ce par le blasphème, de sorte qu'il m'apparaît comme le signe ironique d'une époque et d'une civilisation qui, voulant chasser Dieu du monde, dévoile la supercherie de la « sécularisation ». On ne se débarrasse ni des divinités, ni des totems, ni des tabous : on les déplace seulement, et ce faisant, on passe sa vie à leur tourner autour. La question de Dieu, de son existence, ou de son inexistence, de son absurdité ou de sa nécessité, c'est sans doute la seule qui vaille le coup d'être posée, puisque c'est en principe la dernière à laquelle il sera répondu.

Sur scène, vous portez masques et capuches. Pourquoi de tels artifices ?

Dans l'optique qui est la nôtre, monter sur scène, c'est disparaître en tant qu'individus réels au profits d'alter-ego irréels, de représentations. Mais le maquillage n'était pas suffisant – trop éculé.
Cela dit, je suis stupéfait de constater à quel point le type de costumes que nous portons devient aujourd'hui un nouveau standard – clairement nous n'en sommes pas les inventeurs et en cette matière je nous découvre même suiveurs. C'est totalement involontaire : c'est sans doute dans l'air – nous nous sommes manifestés à un moment où ces costumes devaient sans doute vouloir être portés...
Il va donc nous falloir consentir un véritable effort pour, de ce point de vue, trouver notre voix singulière. On y travaille, comme sur le reste.

Un grand merci à Arnhwald pour le temps qu'il a accordé à cette interview !



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