1 mai 2023

KröniK | Messa - Close (2022)




Si, nonobstant leurs qualités intrinsèques, la majorité des groupes de Doom sertis de chant féminin se ressemblent tous un peu, il y en a au moins un parmi ceux-ci qui échappe à cet écueil, il s'agit de Messa, formation italienne franchement singulière. Sara, sa chanteuse, envoûte mais sa voix suinte une amertume veloutée qui empoisonne l'espace sans pour autant suffire à en dissoudre le pouvoir de séduction magnétique. Guitares et rythmiques sont clouées au sol, qu'elles fissurent cependant d'une folie sourde et parfois déglinguée. L'ambiance baigne dans la mélancolie mais ses couleurs nocturnes l'arrachent au Doom proprement dit pour se noyer dans les profondeurs d'un Dark jazz ténébreux. Chaque album aussi rare que précieux de ce quatuor installé dans la province de Padoue sonne comme la promesse d'un voyage tant sonore que sensitif qui ne rentre dans aucune case, ne s'apparente à aucun genre bien défini. "Close" ne déroge pas à la règle mais rompt avec la curieuse thématique aquatique qui imbibait "Belfry" (2016) puis "Feast For Water" (2018). Comme son titre le suggère en partie, ce troisième album puise son inspiration dans les conséquences psychologiques de la crise sanitaire qui a stoppé la planète, altérant les relations sociales, brisant les liens humains. A partir de ce contexte anxiogène, les Italiens questionnent la notion d'isolement social, d'enfermement mental, s'interrogent sur la solitude dans nos sociétés modernes. Ce thème lui commande une partition qui se distingue légèrement de ses devancières. 

Aux sonorités jazzy qui font son identité et dont se parent 'Suspended' et l'intro de 'Orphalese' que hante un saxophone crépusculaire, Messa ajoute à sa palette des influences orientales aussi surprenantes qu'ensorcelantes. L'usage d'instruments traditionnels arabes, oud et duduk, répand le souffle du désert ('Hollow'). La rencontre improbable entre riffs plombés parfois aux confins du drone et parures arabisantes aboutit à des compositions aussi sombres que merveilleuses ('Pilgrim') qui donnent à cette offrande tout son sel. Malgré sa longueur et celle de ces plaintes aux reliefs sinueux, "Close" passionne constamment, n'ennuie jamais grâce à la puissance d'une écriture brillant de mille lueurs et à la voix non moins puissante de Sara qui emporte tout dans son sillage, comme l'illustre admirablement '0=2', périple de plus de dix minutes qui synthétise l'ensemble de l'album en mêlant guitares rocailleuses, teintes orientales, chant stratosphérique, saxo démentiel, le tout rassemblé en une progression reptilienne que perforent de multiples crevasses. Si musicalement, le court et bruitiste 'Leffotrak' tombe comme un cheveu sale dans la soupe, sa noirceur chaotique ne choque pas dans un ensemble où toute trace de gaité sinon d'espoir est éconduite. Ce qui ne rend pas moins prégnante une forme de beauté et de délicatesse ('Rubedo') qui s'écoule de ces pièces furieusement progressives dans l'âme, ce dont témoigne le crimsonien et barré 'If You Want Her To Be Taken', qui oscille de la douceur à la démence. Et plus il avance et plus l'album perd pied, s'enfonce dans la folie, métaphore de l'isolement et de la perte de repères. "Close" poursuit le chemin tortueux que creuse Messa depuis ses débuts, toujours singulier, plus barré et audacieux encore mais toujours aussi fascinant... (05.06.2022 | MW) ⍖⍖⍖

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