Il
est courant de dire que le troisième album s'avère être pour un groupe un
passage délicat, de surcroît si ses aînés ont croisé la route du succès tant
critique que commercial. La tentation est alors grande de vouloir reproduire
une formule qui a fait ses preuves. La marque des grands réside, notamment,
dans la manière de négocier cette étape, d'avancer, de progresser sans se
répéter. A l'écoute de "Nattesferd", il est donc permis d'affirmer
que Kvelertak fait partie des grands. Détenteurs d'une identité aussi bien
sonore que visuelle déjà extrêmement forte, les Norvégiens ne devaient pas
rater leur retour, trois ans après un "Meir" grâce auquel il ont fait
plus que simplement transformer l'essai, confirmant la pérennité de cette recette
qui n'appartient qu'à eux, fruit de l'accouplement sauvage entre le black et le
punk sous le regard vicieux d'un stoner roublard. Bref, cette troisième rondelle
était fortement attendue. Sa pochette, qui n'est cette fois-ci pas signée John
Baizley (Baroness) mais Arik Roper, réputé pour ses collaborations avec Earth
ou High On Fire, se distingue de ses devancières par ses accents heavy metal et
épiques, comme un indice révélateur d'un contenu dont elle est le bel écrin. En
trois ans, Kvelertak n'a pas seulement évolué, il a mûri, son art a encore
gagné en épaisseur. Et en nuances. Démonstration. Alors qu'il aurait pu polir davantage sa
musique, le groupe surprend d'emblée en balançant en pâture le titre le plus
agressif du lot que caractérisent un tempo frénétique, presque death et un
chant hurlé nourri au Destop. Mais comme souvent avec ses auteurs, 'Dendrofil
For Yggdrasil' n'emprunte pas tout à fait le tracé attendu, se frayant lors
d'une étendue instrumentale finale, vibrant de beauté, un chemin plus lumineux
en dépit de ses percussions mangeuses d'espace. En un titre, les Scandinaves
nous rassurent et nous étonnent. Nous ne sommes pourtant pas au bout de nos
surprises, comme l'illustre '1985', clin d'œil sautillant au 'Jump' de Van
Halen que rehaussent des guitares que ne renierait pas Brian May de Queen,
influence qui perce également la lourde carapace de 'Svartmesse'. Epris de
liberté, les gars laissent libre cours à une inspiration débridée, alternant
morceaux bien punk dans l'âme, que propulse une énergie crasseuse
('Nattersferd', Bronsegud') voire franchement black metal, tel le furieux
'Berserkr', et échappées évolutives traversées de multiples ambiances, à
l'image de 'Ondeskapens Galakse', lente pulsation
irriguée par des riffs cosmiques, sans oublier bien entendu le terminal
'Nekrodamus', mid-tempo lancinant dont
les six-cordes ne filent jamais droit. Cet état des lieux ne serait pas complet
si nous ne mentionnions pas 'Heksebrann' qui, du haut de ses neuf minutes au
garrot, suit un parcours sinueux, tout d'abord quasi stratosphérique mais
hachuré de guitares grondant d'une tension rentrée dont on guette l'explosion,
laquelle ne survient en réalité jamais vraiment, même lorsque le chant surgit
soudain en éructant son venin mélodique. Quoique rampante, la seconde partie
déroule une trame sereine empreinte d'une délicate majesté. Le groupe affirme
que "Nattesferd" est son meilleur album à ce jour, force est
d'admettre qu'il n'a pas tort ! (2016)
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