Bien
que découvert en même temps que d’autres pourvoyeurs en spleen (les masochistes
Tyranny, Pantheist, My Shameful ou Until Death Overtakes Me) signés eux aussi
chez Firebox, celui qui est alors considéré, à juste titre, comme l’épicentre
d’un tsunami funéraire, Mar De Grises s’est cependant toujours différencié de
ses compagnons de douleurs par une approche plus luxuriante de ce qu’on a
baptisé le Funeral Doom, chapelle dont il a très tôt cherché à briser les murs.
Le fait que le groupe soit originaire du Chili, et non pas de Finlande, comme
un grand nombre de hordes suicidaires, n’est d’ailleurs peut-être pas étranger
à cette singularité. A cette liberté également. En 2004, l’incroyable The
Tatterdemalion Express libérait les tentacules d’une musique certes enveloppée
dans un brouillard dépressif, mais dont la capacité à bourgeonner en grappes
atmosphériques lui conférait déjà une identité bien marquée. Quatre ans plus
tard, Draining The Waterheart enrichissait le son du groupe de teintes par
moment franchement progressives, mariage étonnant avec un substrat toujours
aussi tragique. Streams Inwards, première collaboration des Chiliens avec
Season Of Mist, poursuit l’exploration d’un Doom évolutif et protéiforme qui
n’a plus de funéraire que le nom quand bien même Mar De Grises continuent de
façonner une cathédrale de désespoir. Mais, toujours à sa manière,
atmosphérique, dense et mangeuse d’espace. Ainsi, dès les premières mesures du
poignant "Starmaker", son empreinte est tout de suite reconnaissable,
notamment la toile que tissent les guitares de Sergio et Rodrigo, dont chaque
fil est une note de tristesse infinie.Néanmoins, l’architecture a encore évolué
depuis Draining The Waterheart. Celle-ci se révèle plus aérée, plus mélodique
sans doute aussi. Avec "Shining Human Skin", on constate qu’un gros
travail a été consenti au niveau du chant. Avec maîtrise, Juan Escobar aligne
grognements caverneux et voix claire chargée de regrets et de pardon,
sentiments que soulignent les nombreuses nappes qu’étendent des claviers sur
lesquels s’arc-boutent aussi une bonne partie de l’édifice. Succédant à ces
deux titres assez ramassés, "The Bell And The Solar Gust" s’étire sur
plus de onze minutes; long voyage stellaire aux ambiances multiples mais
toujours désespérées (quel final à vous faire pleurer tous les larmes du
corps). Précédé d’un instrumental de toute beauté, hypnotique et déchirant aux
confins de l’Ambient ("Spectral Ocean"), "Sensing The New
Orbit", plus accessible, ouvre une pause qui s’achève avec la respiration
intimiste "Catatonic North" qu’enténèbre toutefois une gorge
profonde. Car, "Knotted Delirium", parasité par des kystes sonores
étranges, amorce ensuite la descente finale qui atteint les profondeurs de la
mines de charbon lors de la marche funèbre "A Sea Of Dead Comets",
conclusion bouleversante, et malgré tout presque contemplative, d’une spirale
que les thèmes cosmiques n’empêchent jamais de s’abîmer dans un océan tragique
et beau à la fois. Enrichi d’une piste complémentaire, guidée par une chant
féminin à la The Gathering, de plus de neuf minutes qui se coule admirablement
dans le menu originel au point de prétendre en être une pièce à part entière,
Streams Inwards confirme l’inspiration foisonnante de ses auteurs visionnaires
épris d’Absolu qui, tout en conservant leur identité, ne cessent de travailler
leur art. Essentiel ! (2010)
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