Runespell | Voices Of Opprobrium (2019)

Des arpèges squelettiques beaux comme un chat qui dort poussent la porte de "Voices Of Opprobrium". En un peu plus de six minutes acoustiques aussi décharnées que douloureuses, Runespell suinte davantage de tristesse, de regrets, que les disques entiers  ruminés par des corbeaux gothiques ou les flagellants du black suicidaire.

A l'écoute de ces notes osseuses empreintes d'une sinistre majesté et que nimbent des chœurs fantomatiques, nous avons l'impression de pénétrer un mausolée où trônent depuis la nuit des temps les sépultures de guerriers héroïques. Pourquoi démarrer cette chronique en évoquant son prologue ? D'une part parce que 'Firmament In Blood' s'impose d'emblée comme l'une des plus grandes réussites jamais écrites par Nightwolf, le maître des lieux, tous projets confondus (avec Blood Stronghold ou Eternum notamment). Ce troisième album ne proposerait que cette piste qu'il serait quand même indispensable. D'autre part parce que, justement, le chemin que "Voices Of Opprobrium" est jonché par deux autres plaintes instrumentales dont les traits  boisés et déchirant en font des répliques de cette amorce mythologique.

L'importance de ces interludes acoustiques, qui ont certes toujours été indissociables de l'identité de leur auteur, confèrent au successeur de "Order Of Vengeance" son architecture curieuse où les respirations occupent autant d'espace que les Belliqueuses chevauchées. Automnal, 'Wraithwoods' étire un suaire mélancolique avec un sens de l'épure admirable, dressant un tertre de désespoir, tandis que 'Wings Of Fate' résonne comme l'ultime râle du combattant terrassé et agonisant. A nouveau, des chœurs lointains et les accords grêles d'une guitare engourdie par une gravité solennelle suffisent à l'Australien pour nous tirer des larmes et peindre un paysage désolé. Coincé entre ces sentiers sombres et forestiers, les trois autres titres n'en ont que plus de force. Ravivant du haut de ses quasi neuf minutes au compteur, les flammes du black metal polonais des années 90, l'immense morceau éponyme chevauche des terres épiques, ensanglantées par des batailles séculaires mais auquel les envoûtant sillons tracés par Nightwolf auréolent d'une beauté ténébreuse. Plus court et véloce, 'All Thrones Perish II' vibre tout autant d'une énergie fielleuse et hivernale cependant que le terminal 'Ascendant' franchit un étage en terme d'agressivité bien que l'émotion n'en soit jamais absent. En combinant la majesté du Bathory viking à la noirceur sinistre de Graveland, Runespell réalise œuvre d'une puissante tristesse, confirmant si besoin en était encore tout le talent de celui qui en est l'âme, qui compte parmi les musiciens les plus inspirés du black metal contemporain.   (28.07.2019)