14 novembre 2019

Evohé | Deus Sive Natura (2019)



















Deus Sive Natura représente un double événement. D’une part, il marque le retour de Evohé, l’une des plus redoutables hordes noires hexagonales (ou pas), véritable centre de gravité de la scène black chambérienne où se croisent des mercenaires du genre dont les noms se rattachent aussi bien à Malmort, Nahar ou Nehëmah.

La faute à une carrière que trouent de trop longs silences discographiques, le groupe ne jouit certainement pas de l’aura qui devrait être la sienne. Et alors que Anwynn fermait déjà il y a huit ans une interminable période d’abstinence, nous laissant espérer que ce deuxième méfait ouvrirait pour ses géniteurs un nouveau chapitre cette fois-ci plus rempli que le précédent, il nous aura pourtant encore une fois fallu patienter de nombreuses années avant de voir Evohé mettre fin à une seconde phase d'hibernation. Rare, sa semence n’en est donc que plus précieuse. Trois offrandes en presque vingt ans, c’est maigre. Mais ceux qui le suivent depuis la démo culte Non Serviam et le mythique Tellus Mater, publié en 2004 chez le regretté Oaken Shield, sous-division de l’inestimable Adipocere Records, et dont l’arrêt peu de temps après, a pu également freiner son ascension, chérissent  - à raison - ce groupe qui occupe finalement une place particulière au sein de la chapelle black française car son identité froide et épique l’arrime à deux courants, le premier, classique et propre à notre art noir national, le second plus pagan. D’autre part, Deus Sive Natura est un événement parce qu’il scelle un autre retour, celui de Valravn plus connu sous le sobriquet de Corven, âme légendaire de Nehëmah qui n’avait plus rien gravé depuis Requiem Tenebrae il y a quinze ans ! Son recrutement peut-il à lui seul expliquer la monumentale réussite de ce troisième opus ? Sans doute que non. Mais force est de reconnaître que, sous cette nouvelle incarnation, le metal noir que sculptent les Français a gagné une ampleur inédite.

Il suffit d’écouter le lent et terminal The Thousand Eyes Of The Lonely Soul qui déroule son relief escarpé et granitique sur plus de dix-sept minutes aussi abrasives qu’envoûtantes pour mesurer le degré de maîtrise auquel le groupe est parvenu. Mais cette gigantesque conclusion tout en atmosphères mélancoliques et hivernales et que percent de vastes paysages montagneux témoigne en outre de la sève nordique qui coule plus jamais dans les veines de musiciens qui gravissent avec une inexorabilité obsédante ce chemin rocailleux emprunt d’une séculaire tristesse. De fait, en cultivant les deux facettes de ses créateurs, Deus Sive Natura a quelque chose d’une synthèse, à la fois très black dans ses traits taillés au burin et païen dans son expression enveloppante, presque mythologique. Du premier, il y a cette froide brutalité, du second, ses chœurs fédérateurs et  ce blizzard venu du Grand Nord que font souffler des complaintes robustes et minérales. Ainsi, Evohé conserve ce tranchant haineux que des atmosphères épiques, loin de ramollir, soulignent au contraire, à l'image de ce Nemesis (Hall Of The Slain), furieux et torrentiel mais accueillant un final beau à pleurer. Aussi éloigné que possible du black pagan sautillant, l'opus nous plonge dans un monde nocturne et frissonnant, ode guerrière à une nature divinisée et aux temps anciens. Reste que, bijou d'écriture et d'ambiances, chaque titre arbore un tracé sinueux où fureur et émotion s'accouplent en un alliage sombrement mélodique, ce dont témoigne l'immense The Tears of Forgotten Times, que percent de multiples crevasses en un défilé accidenté, parfois rapide, souvent lancinant. Plus que jamais, le groupe prend son temps pour tisser sa toile, creusant dans la roche froide des ravins où l'art noir le plus fielleux se conjugue au pagan le plus noble. Deux Sive Natura propulse Evohé vers des cieux inaccessibles. (22.05.2019 | La Horde Noire)

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