8 avril 2019

KröniK | Demande à la poussière - S/T (2018)


Demande à la poussière évoquera peut-être chez certains un roman de l’auteur américain John Fante, c’est désormais le nom d’un groupe. A sa manière, il est même ce qu’on pourrait appeler un "supergroupe", agrégat de musiciens chevronnés issus du terreau extrême hexagonal et dont l’union ne peut que laisser rêveur. Aux côtés de l’ex-Würm Edgard Chevallier (responsable des effets et de la prise de son), du batteur Vincent Baglin et de l’ex-No Return, Jiu, à la basse, Jeff Grimal et Krys Denhez attirent à eux tous les regards, tous les fantasmes (nocturnes). Les deux se partagent le chant tandis que le premier se charge avec sa guitare de tisser un décor halluciné. Il était écrit que l’ancien The Great Old Ones et par ailleurs dessinateur fantastique (dans tous les sens du terme) et le chanteur de Område, Nervf et Ophe, associeraient un jour leur folie et leur univers d’une cyclopéenne décrépitude au-delà d’un simple artwork, comme ce fut le cas de "Nåde" et "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude".

Le fruit de leur fiévreuse et abyssale copulation, enrichie par l’apport déterminant des trois autres musiciens dont il ne faut surtout pas occulter le rôle, ne pouvait qu’enfanter un monstre monumental et tentaculaire. Dont acte. Gravé en septembre 2017 mais finalement publié en an plus tard par Argonauta Records, à aucun moment la rapidité avec laquelle ce galop d’essai a été conçu ne saute aux oreilles tant la maîtrise de ses géniteurs et la vision très sure qu’ils ont de leur art sont (déjà) grandes. Pour le décrire, on parle de blackened post metal auquel s’agrègent du doom et du sludge, addition de styles divers quoique parfois complémentaires. Si cette définition peut questionner, il n’en demeure pas moins que les Français ont parfaitement su rassembler toutes ces influences qu’ils coulent dans les profondeurs ténébreuses d’un creuset apocalyptique. Du black, il y a cette négativité empoisonnée, ce sens de la dépression froide et sinistre dont l’expression maladive n’est pas si éloignée que cela de Shining. Les lignes de guitare obsédantes qui vrillent "Le Lendemain" ne dépareilleraient pas sur "Livets ändhållplats" notamment. Du doom, on retrouve les émotions pétrifiées et cette inexorabilité qui pousse l’écoute dans les recoins obscurs d’une crypte nichée dans les arcanes de la terre. Avec le sludge, Demande à la Poussière partage cette lourdeur poisseuse et avec le post metal, des velléités atmosphériques et une architecture à la fois déliée et vertigineuse, robuste et orageuse. De cette furieuse et terrifiante hybridation jaillit un édifice pourtant extrêmement homogène aux allures de dédale vicié où la beauté (l’instrumental ‘Etranglé’ toute en douloureuse progression) et la noirceur démentielle (l’éprouvant et chaotique ‘L’univers’) se disputent le terrain ravagé d’une partition pesante et hypnotique tout ensemble. A l’unisson d’une folie prolifératrice, chaque instrument bénéficie de l’espace pour s’ouvrir comme des pétales toxiques. Lignes de basse énormes,  percussions tentaculaires et guitares rongées par la rouille (‘Accroché') forment un substrat corrosif et plombé sur lequel les voix conjointes de Jeff et Krys vomissent un épandage mortifère. Demande à la Poussière, le groupe aussi bien que l’album écartent les lèvres charbonneuses d’un monde désespéré, plongée sans retour dans les méandres noires de l’âme humaine, comme si leurs auteurs avaient décidé de fondre en un bloc de matière brute et infernale leurs sentiments les plus tourmentés, leur haine et leurs fautes. Œuvre définitive dans sa noirceur cathartique, cet opus grouille d’une puissance souterraine, véritable forteresse indicible secouée de l’intérieur par une démence intime et cataclysmique qui se répand en lambeaux ferrugineux. Après l'album de Spectrale et "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude" de Ophe, c’est encore un coup de maître qu’il faut attribuer à Jeff Grimal et Krys Denhez. (14/11/2018) ⍖⍖⍖


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