30 janvier 2019

A lire | Clint Eastwood - La mule (2018)


Sans être le naufrage que certains - les plus nombreux - prétendent, force est pourtant de reconnaître que Le 15h17 pour Paris restera sans doute le film de Clint Eastwood le plus faiblard, celui qu'on n'a le moins envie de revoir au sein d'une filmographie pléthorique.  De fait, La mule avait valeur de test pour le cinéaste. Son précédent métrage n'était-il qu'un (relatif) faux pas ou bien annonçait-il son déclin ? Après tout, à presque 89 ans, Clint a le droit de décliner. Combien de metteur en scène et d'acteurs poursuivent encore leur carrière à cet âge-là ?  Et en haut de l'affiche qui plus est ! Inutile de tourner autour du pot plus longtemps, ce trente-huitième film d'Eastwood derrière la caméra, nous rassure : l'homme a encore toute sa vitalité et son talent demeure intact. Dans l'oeuvre de son auteur, La mule est même un film (presque) parfait, qui conjugue fluidité de la mise en scène et direction d'acteurs ad hoc.
Le rythme est lent, tranquille, à l'image de son personnage central, qui prend son temps, à une époque à tout va et doit aller vite. C'est une histoire simple. Trop peut-être pour quelques grincheux jugeant son récit trop linéaire. Or le cinéma eastwoodien n'est jamais aussi bon que dans la simplicité, laquelle n'interdit  néanmoins ni l'ambiguïté ni la complexité. Et c'est qui ce qui manquait aux derniers travaux du vétéran. Comme souvent avec ce dernier, le sujet n'est qu'un prétexte. Il s'empare de l'histoire de ce retraité horticulteur, devenu passeur de drogue pour un puissant cartel, afin de ruminer les thèmes qui courent à travers toute son oeuvre (la liberté, l'individualisme, la famille, les relations père/fille etc...). Il trouve en Earl Stone un rôle selon son coeur, écrit d'ailleurs pour lui par Nick Schenk (Gran Torino), évident cousin de Walt Kowalski mais aussi de beaucoup d'autres de ses personnages.  A l'intrigue policière, classique, se superpose un second récit, plus personnel et émouvant où se niche tout l'intérêt du film. Pour autant, nous aurions peut-être tort de vouloir intellectualiser, de voir dans ce héros le propre reflet de Clint, même si, en confiant le rôle d'Iris à sa propre fille, Alison, il semble chercher à souligner cette analogie. Certes, il fut un père absent qui a fait passer son travail avant sa famille mais ses enfants n'ont jamais manqué de rien et il a toujours été là pour eux. Au crépuscule de sa vie, nourrit-il des regrets. Peut-être mais de là à prétendre que cette faute le tourmente, il y a un pas que nous ne franchirons En cela, s'agit-il véritablement de son testament ? Il ne sera sans doute pas son dernier film et le maître ne s'y livre pas plus que d'habitude. Toutefois, il filme sans fard la vieillesse qui le ronge, ce qu'il a toujours aimé faire, homme qui aimait les femmes au physique désormais diminué même s'il porte encore beau. Parcheminé, son visage est une géographie au moins aussi accidentée que les paysages qu'il traverse à bord de sa voiture. Mais alors qu'il pourrait se parer d'accents crépusculaires sinon mortuaires (comme dans Million Dollar Baby ou Gran Torino justement), La mule est au contraire printanier, presque lumineux. Ce n'est pas le film d'un homme qui a peur de la mort mais qui au contraire l'attend avec le sourire. La photographie de Yves Bélanger n'est pas étrangère à cette chaleur vivifiante. Riche en émotion, le film tend souvent avec gourmandise et malice vers la comédie. N'ayant bien entendu plus rien à prouver, Clint s'amuse et nous amuse, en nous embarquant dans cette histoire rocambolesque, plus légère que sombre. Et quel plaisir de le retrouver devant sa propre caméra. On jugera ainsi l'abîme qui sépare Une nouvelle chance (sympathique au demeurant) de ce dernier film. Certains critiques n'ont pas pu s'empêcher de voir en celui-ci une ode à l'Amérique de Donald Trump. Si le fait que Toby Keith, populaire et patriote chanteur de country qui a composé le superbe 'Don't Let The Old Man In', peut leur donner raison, le cinéaste n'a cependant pas attendu l'élection du présent honni pour ausculter son pays dont il arpente depuis toujours les terres rurales et périphériques. Il montre des retraités menacés d'expulsion et obligés de reprendre la route ou des malades qui ne meurent pas à l'hôpital mais chez eux. Nostalgique, Earl Stone ne vit pas pour autant dans le passé d'une Amérique (blanche) fantasmée, il s'adapte, non sans difficulté, à la modernité et n'éprouve ni mépris ni haine pour les minorités (sexuelles ou raciales).  La morale du film peut paraître appuyée mais cet éloge de la famille, naturelle ou souvent recomposée, est chère à Eastwood et le rapproche du cinéma humaniste d'un John Ford. On retrouve d'ailleurs cette fibre familiale dans une distribution qui rassemble, aux côtés de nouveaux venus (dont Dianne Wiest et Andy Garcia qui a en outre participé à l'élaboration de la bande originale avec Arturo Sandoval), des fidèles du maîtres, de Bradley Cooper (American Sniper) à Laurence Fishburne (Mystic River), de Michael Peña (Million Dollar Baby) à Alison Eastwood bien sûr. Moins puissant que des chefs-d'oeuvre de l'acabit d'Impitoyable ou de Honky Tonk Man, avec lequel on est tenté de le comparer, La mule n'en demeure pas moins le film le plus abouti et jubilatoire que Eastwood nous ait offert depuis dix ans et qui constituerait un beau champ du cygne... Il est son adieu devant la caméra, nous offrant donc une dernière fois la possibilité d'admirer son regard plissé. Et cela suffit à notre bonheur. Clint, tu nous manques déjà.  (vu le 26.01.2019). ⍖⍖⍖




















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