21 septembre 2018

Krönik | Hangman's Chair - Banlieue triste (2018)


"Banlieue Triste" est un album fort et personnel, qui fascine et permet à ses auteurs de rester ce groupe unique, sans doute l'un des plus excitants que compte la scène rock française (et plus).

Il suffit de jeter un œil à sa pochette où une caravane fatiguée et pourrie est plantée dans la boue d'un terrain vague coincé au milieu du bitume et contre laquelle il y a un type, le dos courbé, dans une curieuse posture propice à toute les lectures, pour comprendre que Hangman's Chair ne va pas mieux. Comme son titre le suggère également, "Banlieue Triste" évoque ces zones périphériques aux allures de no man's land sinistre, ces angles morts urbains faits de terres en friche et de tours bétonnées.

C'est ce paysage des grands ensembles déjà fissurés il y a quarante ans auquel on pense en lançant l'écoute du successeur de "This Is Not Supposed To Be Positive". Les Parisiens baignent là dans leur univers qu'ils explorent à l'aide de ces guitares squelettiques et gangreneuses et du chant puissamment émotionnel de Cédric Toufouti, fragile vigie perçant ce brouillard de pois en même temps que le pinceau désabusé d'une tristesse poisseuse. Dès 'Naive', que précède l'instrumental éponyme, sa voix nous étrangle autant qu'elle nous émeut, en déversant son flot cafardeux que souligne une partition lourde et maladive qui claque comme une peau tendue par des crochets. La prise de son pleine de réverb' enrobe l'ensemble d'une patine cradingue qui sied idéalement à ces plaintes molles et décadentes auxquelles elle confère en sus un feeling des années 80 ('Tara'). Musicalement, "Banlieue Triste" s'inscrit dans la continuité de son devancier dont il poursuit le glissement vers un art affranchi de toutes étiquettes, qui possède certes la pesanteur du stoner, la mélancolie du doom et la noirceur poisseuse du sludge mais sans qu'il puisse être pour autant rattaché à un de ces courants. Fort d'une identité aussi bien visuelle, sonore que thématique, Hangman's Chair continue de tracer son sillon à travers un espace désolé qui n'appartient donc qu'à lui. Il en résulte, toujours, ces compositions à la fois aériennes et tortueuses dont la durée dilatée les entraîne au bord d'un puits sans fond, tricotant alors des instants déglingués comme suspendus dans le temps et dans l'espace, témoin l'immense (à tout point de vue) 'Touch The Razor', certainement le point G d'un menu qui n'en manque pourtant pas. De 'Sleep Juice' dont l'intimité brûle d'un désespoir rageur, à '04 09 16' et sa ligne de basse enveloppante, sans oublier le poignant 'Tired Eyes' qu'empoisonnent des kystes electro, "Banlieue Triste" est jonché de superbes pavés. L'opus pourrait être franchement déprimant, et il l'est d'une certaine manière mais il laisse deviner tout du long une ironie gouailleuse qui freine sa noirceur fangeuse. Là réside le ton si particulier propre à Hangman's Chair qui cultive une ambivalence trouble dans sa capacité intacte d'alterner des titres accrocheurs et d'autres plus plombés entre lesquels se glissent des pistes instrumentales ('Sidi Bel Abbes') où de froides atmosphères se lient à de fugaces rais de lumière. Bien qu'il s'achève sur un 'Full Ashtr' inutilement long, parasité par une seconde partie interminable qui tourne à vide, "Banlieue Triste" n'en est pas moins un album fort et personnel, qui fascine et permet à ses auteurs de rester ce groupe unique, sans doute l'un des plus excitants que compte la scène rock française (et plus). (02/04/2018)


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