Tous
les groupes se cherchent à leurs débuts, même les plus grands. Rush en
constitue un bon exemple. Ainsi, avant de devenir une figure majeure du Rock
(progressif), le trio canadien a connu des premiers pas hésitants, son identité
encore en gestation étant alors très (trop) marquée par le Hard Rock naissant. Fondée
en 1968, la formation connaît durant ses vertes années, comme beaucoup
d'autres, certaines turbulences, tant humaines qu'artistiques autour du
guitariste Alex Lifeson, rapidement rejoint par le chanteur et bassiste Geddy
Lee, tandis que le batteur Neil Peart, dernière pièce (maîtresse) du puzzle,
n'est pas encore là. Cette instabilité explique le délai inhabituellement long
séparant la naissance du groupe de son galop d'essai, lequel ne voit le jour
qu'en 1974, soit six ans plus tard ! Sa (re)découverte n'est pas sans réserver
des surprises car c'est peu dire que Rush s'y révèle pour le moins
méconnaissable, à l'image du chant du bassiste, ici dans un registre haut
perché qui lui convient peu, pourtant d'habitude aisément identifiable et en
cela, élément essentiel de la signature du combo. Clairement biberonnés au lait
zeppelinien ('Finding My Way', 'What You're Going'), les Canadiens délivrent
ainsi un Hard Rock bluesy à des années-lumière du style qui les imposera et
donc surtout assez peu personnel, ce qui est tout aussi surprenant de la part
de musiciens dont l'oeuvre future saura au contraire n'appartenir qu'à ses
auteurs. Ce qui n'étonne pas en revanche, est la qualité déjà certaine en
présence, aussi bien en terme de technique que d'écriture, qualité qui éclate
notamment lors des titres les plus longs, lesquels annoncent d'une certaine
manière et bien qu'encore timidement, l'évolution à venir vers un art à la fois
plus complexe et singulier. Le très beau 'Here Again', que magnifie le jeu d'Alex
Lifeson déjà précis et brillant, ainsi que la pièce terminale 'Working Man',
dont le succès ouvrira à Rush les portes du label Mercury, illustrent cette
couleur plus progressive et augmentent la valeur ajoutée d'un premier essai qui
ne peut certes soutenir la comparaison avec ses glorieux successeurs, ce qui ne
l'empêche pas de dispenser un charme bien réel et une élégante énergie. Avec
l'arrivée, en juillet 1974, de Neil Peart en tant que batteur et parolier,
c'est déjà presque un nouveau chapitre qui débute pour Rush, incarnée dès
l'année suivante par "Fly By Night"... 3/5 (2015)
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