Comme
le nom de son label en témoigne, Damien Luce voue une grande admiration à Red
Harvest. Rien de surprenant alors qu'il ait profité du vingtième anniversaire
de leur deuxième opus pour rendre hommage aux Norvégiens. Chef-d'oeuvre (terme
souvent galvaudé qui s'impose pourtant ici) trop méconnu, "HyBreed"
renaît aujourd'hui de ses cendres sous la forme d'une noble cassette, habillée
par le maître Dehn Sora. L'occasion est donc trop belle de (re)découvrir ce
joyau aux allures d'ovni dont prétendre qu'il était en avance sur son temps
tient du doux euphémisme. Vingt ans plus tard, il n'a toujours pas été égalé et
même pas par le groupe lui-même qui ne parviendra jamais vraiment à reproduire
cette réussite majeure. Maladroitement rattaché à une chapelle black metal
alors en pleine effervescence et avec laquelle il ne partage guère plus que
certains de ses membres, actuels ou passés (dont son ancien batteur Cato
Bekkevold parti depuis cogner chez Enslaved),
Red Harvest a toujours été à part,
pionnier aussi insaisissable qu'incompris. Publié à l'origine par Voices Of
Wonder, "HyBreed" est à son image. Indus, darkwave, ambient, l'œuvre
dépasse en réalité ces étiquettes pour façonner un art unique à la fois
atmosphérique et caverneux, sombre et glacial, massif et hypnotique, qui se
doit d'être appréhendé dans sa vertigineuse globalité, bloc de matière en
fusion qui se dresse dans l'obscurité opaque d'une usine désaffectée. Long de
près d'une heure et vingt minutes, l'album vibre sous les coups de boutoir
d'une machine infernale dont les pistons en mouvement résonnent comme des
plaques tectoniques qui s'accouplent en une orgie mécanique. Bien que zébré
d'éclairs de beauté ('In Deep') qui jaillissent de ces guitares parfois presque
aériennes et d'un chant puissamment émotionnel ('On Sacred Ground'), l'ensemble
forme pourtant un magma crépusculaire, qui bouillonne dans les entrailles brûlantes
d'une planète prisonnière d'une gangue gelée. Véritable Janus sonore,
"HyBreed" se veut l'alliance du feu et de la glace, alliage
tentaculaire et incandescent de nappes électroniques qui se répandent telle une
brume organique, de six-cordes vrombissantes et de rythmiques aussi martiales
que saccadées. Léché par un souffle apocalyptique comme échappé du chaos originel
('The Burning Wheel'), "HyBreed" n'a pas pris une ride, n'a rien
perdu de sa force d'évocation. Mieux, il gronde d'une modernité incroyable,
donnant quasiment l'impression d'avoir été enfanté il y a peu, ce qui confirme
non seulement sa dimension visionnaire mais surtout son caractère éternel. 4/5 (2016)
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