Déhà mange t-il ? Dort-il ? Va-t-il aux petits coins ? Est-il même
un être humain ? Pour quiconque s'est déjà penché sur la discographie
bourgeonnante et bordélique du bonhomme, poser ces questions n'est pas absurde
tant ce dernier semble ne jamais se reposer, artiste fécond auquel un projet ne
saurait suffire à rassasier la soif de création et ce, d'autant plus que le
spectre de son inspiration peut parfois lui faire faire le grand écart. Quel
rapport en effet entre We All Di (Laughing) et Ydharl par exemple
? Toujours prêt à collaborer avec d'autres musiciens aussi épris de
liberté que lui, le voir lier son ADN à celui de Daniel Neagoe dans le cadre de
cette nouvelle entité qu'est Vaer, ne surprend pas tant que cela. Pour deux
raisons au moins. Aussi stakhanovistes l'un que l'autres, les deux lascars se
connaissent bien pour avoir déjà partager les crédits de nombreux efforts, de
"Doliu" (Clouds) à "Fortitude.Pain.Suffering" (Deos) en
passant par "The Deceit" (Eye Of Solitude). Surtout, une véritable
osmose parait les unir, communion artistique aux couleurs noires du désespoir
le plus total. Du coup, qu'ils aient décidé d'exploiter la veine dépressive du
Black Metal n'étonne pas davantage tant ils ne peuvent qu'y puiser le terreau
fertile à leur spleen coutumier. Ceci étant, ce (sous) genre peine
désormais à nous procurer des frissons masochistes. Les cordes, les vraies,
celles qui vous meurtrissent le cou, y sont de plus en plus rares cependant que
les frontières entre DSBM, Shoegaze et Post Black tendent à se faire pour le
moins poreuses, ce qui n'est pas forcément une bonne chose. Cherchant sans
doute aussi à se faire plaisir, Vaer s'enfonce tête la première dans cette
nasse de tristesse. Mais ses deux membres étant ce qu'ils sont, sa première
offrande réussit avec intelligence à se jouer des clichés, à exploiter tous les
invariants de ce style très codifié pour mieux les transcender. Entre les
mains de médiocres corbeaux, cela aboutit (trop) souvent à un art vidé de sa
substance sinon de son âme. Entre celles d'artistes, des vrais, au contraire,
c'est une partition douloureusement belle qui s'échappe de cet humus funèbre.
La grande force de "For So Many Reasons" réside dans sa capacité à
réciter le credo qu'il respecte à la lettre, des voies écorchées aux longues
complaintes qui toutes s'étirent bien au-delà des 10 minutes au jus, tout en
réussissant l'exploit de le métamorphoser, de transformer le quelconque en une
oeuvre aussi rare que précieuse. Il faut entendre Déhà et Daniel renvoyer
à leurs chères études tous les suicidaires du dernier rang avec un titre tel
que 'Left In The Cold', sorte de leçon de Post black dépressif. Et que dire de
'Beneath The Shade Of Time', ode désespérée superbe dans sa douleur suppliciée.
Sans chercher à renouveler le DSBM, Vaer parvient pourtant à lui redonner une
part de son lustre mélancolique, écaillé avec le temps et la médiocrité.
Ce faisant, il accouche avec une facilité naturelle d'un album presque
définitif, autant hommage que synthèse. Mais pouvait-on en attendre autre chose
de la part de ce brillant tandem ? 3.5/5 (2015)
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