Anneke n'a pas quitté The Gathering. Telle est la vérité qui
semble sauter aux oreilles une fois The West Pole, le nouvel album des
Hollandais, avalé par la chaîne hifi. Pourtant, on le sait, il n'en est rien.
Mais en jetant leur dévolu sur la norvégienne Silje Wergeland, dont on a très
souvent comparé la voix avec celle qu'elle remplace désormais, les frères Rutten
ont donc décidé de ne pas prendre de risques, ce qui est surprenant, eux qui
nous ont toujours habitué aux
surprises justement, à changer de peau à chaque nouvelle offrande. Le départ -
étonnant - d'Anneke leur permettait de tenter des choses inédites, d'emprunter
une voie(x) vierge. Recruter la chanteuse de l'excellent Octavia Sperati est
ainsi à la fois un bon et un mauvais choix. Bon, car, la jeune femme a du
talent et une personnalité. Mauvais parce qu'il prive - Silje n'y est du reste
pour rien - The Gathering de la possibilité de renouveler sa palette sonore.
Mais peut-être qu'une voix trop différente de celle de miss van Giesbergen
n'aurait simplement pas convenu... Succédant au crépusculaire Home,
sorti il y a déjà trois ans, The West Pole est à l'image de ses aînés : il arbore
une fausse simplicité tout d'abord dommageable... et surtout trompeuse, qui
explique pourquoi beaucoup jugent le groupe sévèrement, le trouvant pauvre
musicalement (on se souvient par exemple des propos de Arjen Lucassen en 1998
lors de la promotion de Into The Electric Castle et qui regrettait que Anneke, qui
participait au projet, fasse partie de ce groupe). Mais à l'instar de nombre de
pièces majeures, ce neuvième opus dévoile ses richesses - immenses - que peu à
peu, à force d'écoutes répétées. Moins trip hop que Souvenirs,
moins noir que Home, The
West Pole est en fait tout
simplement un superbe disque de rock atmosphérique, musclé parfois
("Treasure", "No One Spoke"), émouvant et plein de finesse
toujours ("Capital Of Nowhere"...) et sur lequel plane parfois
l'ombre du révéré Nighttime Birds (1997), comme l'illustre l'aérien et
émotionnel "No Bird Call". Et si sa patte est reconnaissable entre
mille, notamment à travers le jeu des deux frangins, le groupe drape sa musique
d'un voile cependant plus progressif que habitude. Les claviers, qui ne sont
parfois pas sans évoquer les grandes heures du King Crimson des débuts (le
gigantesque "A Constant Run" qui fera jouir ceux estimant - à raison
- que les Bataves ont atteint leur apogée avec How
To Measure A Planet ?) participent notamment de cette influence. Et
Silje, me direz-vous ? Comment est-elle ? Très bien. Forcément. Grâce aux
albums gravés avec Octavia Sperati, on savait qu'elle était capable d'incarner
la nouvelle voix de The Gathering mais on la découvre plus impressionnante
encore car elle parcourt un spectre vocal bien plus vaste que ce qu'elle avait
offert jusqu'à présent. Et puisque l'on est bien obligé de les comparer, on
peut dire que son chant est certes très proche de celui d'Anneke, avec lequel
il partage une forme de fragilité, néanmoins la Scandinave dégage une fébrilité
qui n'appartient qu'à elle, témoin ces perles écrites à l'encre d'une vie grise
et triste que sont " The West Pole", "You Promised Me A
Symphony" et surtout le déchirant "Pale Traces", beau comme un
chat qui dort. Alors que nombreux sont ceux qui doutaient de la capacité des
Hollandais de survivre au départ de leur charismatique chanteuse, contre tout
attente, ils viennent pourtant de relever le défi et de la plus belle des
manières. The West Pole se
révèle être une réussite exemplaire, un de leurs meilleurs albums, riche de
très grands moments ("All You Are") et qui ouvre pour ses géniteurs
un avenir bien plus radieux qu'on ne le croyait il y a encore quelques mois de
cela. 4/5 (2009)
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