27 mars 2023

KröniK | Bâ'a - Egrégore (2022)




Si une part du mystère qui l’entourait s’est levée depuis que l’identité des ses membres a été dévoilée et ce quand bien même nous avons toujours su que l’indispensable Hreidmarr lui était associé, Bâ’a n’a rien perdu ni de sa force d’évocation ni de son pouvoir de fascination comme le démontre Egrégore, la deuxième hostie – sans compter une alliance séminale partagée avec Hyrgal et Verfallen - ruminée par ce projet qui, outre le légendaire chanteur et figure de proue de la chapelle noire hexagonale, est habité par Maximilien Bigliadori (guitare, basse) et Emmanuel Zuccaro (batteur), tous deux d’ailleurs précédemment croisés chez Hyrgal. Le successeur de Deus Qui Non Mentitur était fortement attendu et autant l’annoncer de suite, ne déçoit pas. Ce qui n’était pas assuré tant le premier album du trio brillait d’un éclat aussi sinistre que torrentiel qui a fait de lui une des offrandes plus incontournables que le genre ait délivrée il y a deux ans. Osons peut-être même l’affirmer, ce nouvel opus n’est pas loin de dominer son aîné. S’il s’enracine dans un humus identique, ésotérique et crépusculaire dans le fond, lancinant et épique dans la forme tout en suintant cette poésie fiévreuse et déclamatoire nourrie de paroles en français et en latin, le paysage que dresse Egrégore semble pourtant tout d’abord manquer d’un édifice aussi puissant et monumental que l’immense ‘Procession’, épicentre orgasmique de son prédécesseur. En vérité, les nombreuses pénétrations de son obscure et ténébreuses intimité divulguent une œuvre finalement plus équilibrée, plus dense. Certainement plus intense aussi. 

Tentaculaires, les six psaumes érigent un bloc noir et indivisible, peinture d’un Moyen Âge au bord du précipice. Du chant possédé et expressif de Hreidmarr à ces lignes de guitares polluées et rongées par la lèpre comme un scalpel labourant la chair, sans oublier une rythmique torrentueuse, les trois musiciens sont à l’unisson d’une dramaturgie millénariste aux relents de souffre et d’apocalypse. Quelques chants grégoriens suffisent à installer une liturgie lugubre (‘In Umbra Et Luce’). A l’instar de Deus Qui Non Mentitur, ce deuxième rituel affiche une fausse simplicité en même qu’une trompeuse orthodoxie. Ainsi de loin, c’est un art noir dans sa belle tradition nationale qui se déverse et auquel participe la voix écorchée et sombrement romantique d’un Hreidmarr à la présence si reconnaissable. De près, le tableau qui nous est offert se révèle plus nuancé tant chacune de ces six processions déroule une trame plus sournoise qu’il n’y paraît, érodée par une négativité aussi emphatique que frénétique. Tour à tour rapide et agressif comme un torrent en crue (‘Bellum’) ou rampant et vicieux (‘Fames’), Egrégore s’abîme dans un monde souterrain que la lumière n’atteint jamais, accouplant sur un bûcher crépitant la folie et le désespoir les plus absolus et effrénés au sein de compositions labyrinthiques (‘Urbi Et Orbi Clamant’) galopant le long de cimes meurtris et ravagés desquels s’écoulent un mal-être infini et une haine venue du fond des âges. A sa manière, théâtrale et mystérieuse, fielleuse et abyssale, Bâ’a redonne ses lettres de noblesse à un black metal poétique et tortueux ancré dans un terreau historique et cultu(r)el évocateur d’une civilisation doloriste et flagellante, guettant la venue du jugement dernier dont les Français tirent à la fois leur classicisme et leur identité. (7 mai 2022 | LHN) ⍖⍖⍖

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