Malgré deux premiers essais, The Last Day puis Sol, qui exposaient déjà de belles qualités, SaaR demeure encore (trop) méconnu. Pour ceux qui ne connaitraient pas encore ce groupe français, son troisième album, intitulé Gods, fournit, sans même poser une oreille dessus, de précieux indices qui devraient les aider à voir plus clair à son sujet. Que l’inévitable Francis Caste (Hangman’s Chair) figure derrière la console (r)assure déjà quant à un fuselage sonore qu’on devine aussi lourd que froid, connecté à une sombre modernité. Que Source Atone Records, le label de Chris Denez (Ophe, Derrière la poussière) dont le jeune catalogue affole le compteur Geiger d’une certaine scène française (Nature Morte, Néfastes…), crache ce nouvel effort, en confirme également la teneur d’une tragique puissance, de même que la haute valeur ajoutée. La photographie de Alexandre Le Mouroux en guise de visuel, vue en noir et blanc et en contre-plongée d’un immeuble se dressant tel un imposant vit de béton vers un ciel chargé de nuages, achève de planter le décor, celui d’un post metal à la confluence du hardcore et du doom. Sans oublier la présence en son sein de membres de Ovtrenoir ou Parlor dont le simple énoncé de leurs noms suffit à ancrer SaaR dans ce terreau hexagonal sévèrement addictif. Voilà.
Une dernière chose doit être indiquée et pas des moindres : les Français ont retenu une expression entièrement instrumentale (ou presque) qui les arrime de facto au substrat à la fois plombé et atmosphérique, rageur et délicat des Russian Circles et autre Isis, références tutélaires auxquelles il est impossible d’échapper mais qui n’empêchent pas Gods de briller de mille feux. Le feu des dieux dont il évoque la mort, à travers le mythe d’Ulysse et de l’Odyssée. Ce thème commande au quatuor un ensemble tout en nuances, tout en ambivalences, démiurge d’une architecture extrêmement travaillée que creusent de multiples boyaux à l’image par exemple de l’inaugural 'Ulysse' dont le maillage progressif se conjugue à de lourdes éruptions avant de s’échapper dans une effusion tendre et pointilliste mais toujours teintée de désespoir. Ce post metal instrumental offre à ses créateurs le cadre propice pour tisser des ambiances aériennes qui décollent d’un socle terreux raviné par ces guitares tour à tour massives ou stratosphérique (‘The Journey’). SaaR impressionne tout du long par son sens de la progression, jouant sur les accalmies soyeuses et percussives sans jamais toutefois rogner une tension qui, souterraine, gronde sous les coups de boutoir robustes de musiciens à l’unisson d’une force dramatique et bourgeonnante dont le puissamment émotionnel ‘Bridge Of Death’, titre le plus noir et tendu du lot en dépit d’une entame délicate, est l’archétype le plus abouti. D’une essence plus post rock, ‘Tiresias’ lui tire la bourre en matière de trajectoire tordue que mordent cassures profondes et geyser de (pale) lumière. Succédant au trapu et pulsatif ‘Gods’, totalement crimsonien dans son expression tortueuse et tourmentée, ‘Truth’ achève le périple sur une note étonnamment positive quoique empreinte de fragilité du fait des lignes vocales posées par Julien Sourac (Wolve) qui bousculent la gravité funeste d’un album riche de sa beauté tour à tour crépusculaire et intimiste mais toujours teigneuse… (15.04.2022 | LHN) ⍖⍖⍖
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