16 février 2023

CinéZone | Yves Boisset - Espion, lève-toi (1982)




Comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, Lino Ventura affectionnait les rôles d'hommes dépassés par une machination tentaculaire, que l'on songe à Un papillon sur l'épaule (1978) de Jacques Deray ou au Silencieux (1972) de Claude Pinoteau. Espion, lève-toi est l'entre eux. Au départ, le film doit être réalisé par Andrzej Zulawski mais Ventura lui préfère Yves Boisset. Il est permis de se demander ce qu'aurait donné une telle collaboration. Entre les mains de l'auteur du Juge Fayard dit le shériff, cette adaptation d'un roman de George Markstein a gagné en efficacité et en classicisme ce qu'elle a sans doute perdu en singularité. La musique de Ennio Morricone et les dialogues de Michel Audiard participent d'un thriller solide. Pourtant le scénario se révèle des plus opaques, plongeant le spectateur dans la même perplexité confuse que Sébastien Grenier. En effet, on ne comprend rien à cette histoire d'espion réveillé qui donne parfois le sentiment de se prendre au piège de sa propre complexité. Quelles sont les motivations de Jean-Paul Chance ? Et pourquoi les services secrets français décident-ils d'abattre Grenier ? 

Mais l'intérêt de Espion, lève-toi réside moins dans la vraisemblance de son sujet que dans l'atmosphère paranoïaque qu'il dévide avec un sens du suspense dont il faut créditer Yves Boisset, lequel livre un travail fluide et nerveux. A l'américaine. Il a retenu les leçons du film noir comme l'illustre la scène où Ventura exécute Piccoli dans un funiculaire.  Homme de gauche, Boisset étonne par sa façon dont il dépeint ces brigades populaires aux méthodes terroristes, toutefois simple instrument d'un jeu d'ombres bien plus dangereux. Surtout, le film réserve une bonne prestation de l'ensemble des comédiens. Lino Ventura est bien sûr parfait dans la peau de cet ancien espion, fatigué et touchant dans son insoluble quête de vérité. Comme dans Un Papillon sur l'épaule, sa mort efface sa vie comme s'il n'avait jamais existé. Savoureux, Michel Piccoli l'affronte avec gourmandise. Habitué de ce type de rôles assez troubles, Bruno Crémer se montre excellent, tout comme Marc Mazza en tueur inquiétant. Quant à Bernard Fresson, il disparait tellement vite que sa présence est presque anecdotique. En dépit de sa froideur, que nourrissent l'architecture austère de la ville de Zurich et ce climat de faux-semblants où personne ne semble être ce qu'il est vraiment, Espion, lève-toi confirme cet immuable savoir-faire à la française en matière de cinéma d'espionnage plus psychologique que ludique. (vu le 26.12.2021) ⍖⍖⍖


 

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