Un des apports les plus appréciables d'Internet est d'avoir brisé les frontières et par conséquent de permettre à n'importe quel artiste vivotant à l'autre bout du monde de partager sa musique avec le plus grands nombre. Sans la toile et son arsenal de médias musicaux (YouTube, Bandamp...), nous n'aurions par exemple sans doute jamais croisé le chemin de Ruit Hora, projet basé à Santiago. A cause de sa lointaine origine géographique et d'un art plutôt indescriptible dont il n'ait pas certain qu'il puisse recevoir les faveurs d'un label et l'exposition qui va avec. Au départ entité solitaire entre les mains d'un certain Daniel Araya Bravo qui enregistra tout seul dans son coin un premier jet éponyme en 2019, Ruit Hora s'est depuis enrichi d'autres êtres humains venus aider le maître des lieux à réaliser Kainophobia. Le concours de musiciens en chair et en os confère à ce deuxième album un caractère évidemment plus organique, plus vivant que son aîné mais ne le rend pas plus facile ni d'accès ni à décrire. Ce qui va de pair. Bon mais de quoi s'agit-il au fait ? Entre doom et musique électronique erre ce curieux groupe qui cite aussi bien Laibach que John Carpenter comme influences et que recouvre l'ombre du Ulver époque The Marriage Of Heaven And Hell ou Perdition City. Proche des intonations émotionnelles de Kristoffer Rigg, le chant clair de Danial Araya Bravo participe de cette évidente filiation avec les Norvégiens.
Lorsqu'il troque ce registre limpide et emphatique pour une voix plus caverneuse, le charme opère en revanche nettement moins ('What If Time is Impartial'). De fait, Ruit Hora réussit mieux dans la voie froide et mécanique d'une partition électro et industrielle ('The Fall') que dans celle plus ténébreuse d'un doom bizarre, synthétique et orageux tout ensemble ('Adrif'). Mais le concept même de l'album (la peur d'affronter l'inconnu, de quitter un quotidien confortable) dictait cette ambivalence, cette hybridation aussi étonnante que parfois maladroite. Dans ses meilleurs moments, l'opus se révèle parfois obsédant, souvent hypnotique ('Kainophobia'). Ce qui ne l'empêche pas de nous égarer aussi dans le dédale qu'il tisse et dans un mélange des genres pas toujours heureux. Mais l'actif l'emportant sur le passif, Kainophobia envoûte, intrigue et ne laisse pas indifférent, poinçonné de sombres puits de beauté au fond desquels remue une noirceur désincarnée et dissonnante. Fort de cet album tentaculaire, Ruit Hora mérite qu'on s'intéresse à lui, chantre d'un étrange syncrétisme entre musique industrielle et dramaturgie doloriste au sein d'une usine froidement électronique aux lueurs introspectives. (le 22 août 2022) ⍖⍖
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire