Bank Myna pourrait être scandinave. Ainsi, son art ne manquera pas d'évoquer les travaux de Anna von Hausswolff, référence assez évidente et totalement assumée par le groupe dont la musique, engourdie par une féminité fantomatique identique, éveille elle aussi des paysages sonores et sensitifs froids et hypnotiques. Mais contre toute attente, Bank Myna n'est pourtant pas enraciné dans une quelconque granitique contrée septentrionale puisque originaire de Paris. Certains l'ont peut-être découvert il y a six ans avec un premier jet éponyme, EP déjà impressionnant de maîtrise et de profondeur, réceptacle d'un drone à la fois charnel et hanté. Gageons toutefois que les qualités exposées par ce galop d'essai ne sont (presque) rien par rapport à celles que cette première véritable offrande longue durée affiche avec une ampleur effrontée. Ce faisant, il n'est pas trop risqué d'annoncer la reconnaissance plus grande encore que les Français devraient logiquement rencontrer. Ceux qui ne les connaissent donc pas déjà seront bien sûr tout d'abord aimantés par la voix de Maud, poétique et brumeuse, clé de voûte d'une cathédrale doloriste que soutiennent cependant d'autres arcs-boutants. Guitare grondant d'une puissance noire, percussions rituelles et nappes ténébreuses érigent un amas immersif auquel Volaverunt greffe notes de violon et résonnances plus étranges (horloges, samples...). Etrangeté est d'ailleurs le mot qu'impose la défloration de ce groupe.
Etrangeté de ce nom possible référence à un oiseau originaire d'Asie. Etrangeté toujours de ce titre d'album qui renvoie aux eaux-fortes de Francisco de Goya. Etrangeté enfin d'une musique sombrement pulsative dont l'architecture monumentale rappelle un peu l'imaginaire de Philippe Druillet. Mais à la vérité, chacun y puisera ses propres références en fonction de son inconscient. De fait, Volaverunt ne s'écoute pas seulement, il se vit, se ressent. Que le trio l'ait envisagé comme un bloc indivisible, pièce unique scindée en cinq mouvements, ne surprend pas et participe au contraire de la force enveloppante de cet ensemble massif et néanmoins diaphane. La nature ambient de 'Los Ojos de un Cielo sin Luz' et sa façon dont il se fond dans 'The Open Door' soulignent cette dimension unitaire qui commande une immersion totale, interrompue. Masses organiques autant aériennes qu'obscures, ces cinq morceaux aux contours flous forment les étapes successives d'un voyage mystique qui gagne peu à peu en intensité. Aux premiers pas plus ramassés, énigmatique parfois ('Des mains, des yeux'), ensorcelant toujours ('Aurora (Vi ska sova)') succèdent un second pan plus contemplatif encore où la trame se délie, se répand en un brouillard percussif et chamanique. Le chant teinté d'amertume de Maud sonne comme un ressac insaisissable qui s'écrase contre les falaises d'un drone crépusculaire culminant lors du terminal et désespéré 'The Sleep Of Reason' dont le pouls post rock déchire cet hymen cathartique. Lent fracas de larsens chaotiques, d'ambiances sentencieuses et de mélopées féminines, entre Sunn O))) et Amber Asylum, Volaverunt était très attendu. Non seulement il ne déçoit pas mais il ouvre pour Bank Myna un horizon sonore qui semble infini et que chacun pourra s'approprier dans sa chair et dans son âme. (13.02.2022 | LHN) ⍖⍖⍖⍖
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire