Quand John Frankenheimer réalise L'opération diabolique, il figure, aux côtés notamment de Sidney Lumet, parmi la nouvelle vague qui révolutionne le cinéma américain autant dans la forme que le fond. Le prisonnier d'Alcatraz (1962), Un crime dans la tête (1962) ou Sept jours en mai (1964) témoignent de ce renouveau aussi puissant que salutaire. Mais, projeté au festival de Cannes, Seconds reçoit un accueil glacial, film incompris qui sombre rapidement dans l'oubli... Pour être finalement, et des années plus tard, redécouvert et réévalué à sa juste valeur, au point d'en faire une œuvre culte et dernier côté d'une trilogie paranoïaque entamée par The Manchurian Candidate et poursuivi par Seven Days In May. Comment expliquer l'échec aussi critique que commercial qui plomba la carrière du film ? Certes, celui-ci n'évite pas certaines longueurs attribuées à la scène de l'orgie bachique à laquelle succède une fête trop arrosée, deux séquences hystériques et volontairement pénibles mais qui tiennent toute leur place dans la déconstruction mentale du personnage principal. La mise en scène virtuose mais quasi expérimentale et teintée d'une espèce d'impressionnisme psychédélique, n'a sans doute pas favorisé sa réception auprès des critiques comme du public.
Pourtant, outre le fait que ce travail visuel aussi tordu qu'ébouriffant (auquel par ailleurs doit beaucoup la photographie en noir et blanc du vétéran James Wong Howe) se justifie totalement et n'a rien de démonstratif, cette diarrhée technique imprime dans la rétine des images extrêmement marquantes. A commencer par le générique inoubliable et inquiétant, fruit de la rencontre entre deux maîtres, Saul Bass et le compositeur Jerry Goldsmith. Lui succède une ouverture vertigineuse dans la Grand Central Station. En quelques minutes, le spectateur est installé dans un climat perturbant qui ne le désertera plus. Survenant après les vendanges orgiaques et la party paroxysmique, la scène où le héros visite son (ancienne) épouse tranche par sa sobriété qui ne la rend pas moins forte. Comment oublier la fin d'une noirceur totalement désespérée ? Mais L'opération diabolique ne tire pas uniquement son pouvoir de fascination de sa virtuosité technique mais aussi de son sujet au service duquel est allouée cette créativité visuelle très recherchée. Car, sous couvert d'un récit de science-fiction qui voit un homme troquer sa peau pour changer de vie sous l'emprise d'une mystérieuse Organisation, Seconds brasse de multiples réflexions, sur l'usure du couple au sein duquel mari et femme n'incarnent l'un pour l'autre plus que des étrangers, sur la vie que l'on aurait aimé connaître, sur la superficialité de l'existence en générale et de la société américaine en particulier avec au bout du compte une question : qui sommes-nous vraiment ? Ne sommes-nous pas l'enveloppe de réincarnations successives ? Fruit du contexte paranoïaque des années 60 inoculé par la Guerre froide, L'opération diabolique illustre un cauchemar qui vous hante pendant longtemps et dans lequel Rock Hudson récupère un de ses meilleurs rôles. (vu le 16.10.2021) ⍖⍖⍖
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