24 mai 2022

CinéZone | Alain Corneau - Série noire (1979)




Son générique suffit à donner le ton de Série noire. Au milieu d'un terrain vague boueux sur fond d'immeubles de banlieue aux allures de verrues, Patrick Dewaere mime une scène d'action imaginaire, comme s'il affrontait des bandits dans un western. Son cadre est celui de cette périphérie parisienne sordide qui, à la fin des années 70, ne répond plus à aucune utopie mais symbolise le déclassement social et économique d'une partie de la population. Englué dans une vie minable, son "héros" est à la fois fragile et tragique, puéril et irrationnel. 

On imagine difficilement un autre que Dewaere pour endosser la peau de ce représentant de commerce qui se débat contre une morne existence prisonnière de territoires urbains et affectifs à la dérive auxquels il ne peut se soustraire. Il lui prête son jeu fiévreux constamment au bord de la rupture et on comprend qu'Alain Corneau ait fait appel à lui et pourquoi, si le comédien avait refusé le script, il ne l'aurait tout simplement pas réalisé. Possédé par son personnage dans lequel il s'est investi jusqu'à la folie, allant jusqu'à réellement se frapper la tête contre le capot de sa Simca, Dewaere est alors au sommet de sa carrière et de son talent. Comme son titre l'indique, Série noire est un vrai film noir où l'intrigue policière prime moins que l'atmosphère et des protagonistes piégés par un engrenage fatal. 

Secondé par Georges Perec, Corneau adapte le roman du maître Jim Thompson, Des cliques et des cloaques dont il déplace la trame de l'Amérique des années 50 à cette France sinistre des banlieues à l'aube des années 80. Planté entre Saint-Maur-des-Fossés et Créteil, le film se révèle pourtant moins réaliste qu'allégorique, presque aux confins d'un fantastique désincarné, avec ces pavillons miteux et solitaires et ces rues désertes. A l'exception d'une poignée de loubards dans un rade populo, les rares personnages ne croisent personne ; ils semblent évoluer seuls, comme coupés du monde et d'une réalité qui paraît abstraite. Leur comportement même échappe à toute rationalité. Même les quelques ritournelles (Claude François, Sheila) entendues en fond sonore agissent comme les vestiges d'une lointaine époque. Son faible budget et un tournage à l'économie participent de cette abstraction qui fait de Série noire une œuvre tout à fait spéciale, au climat et au style uniques. 

Si Patrick Dewaere bouffe évidemment l'écran, Marie Trintignant (en jeune fille étrange et mutique prostituée par sa tante), Myriam Boyer (en molle épouse de Poupard) et Bernard Blier (en patron roublard) livrent tous une partition trouble, dans le ton d'un film qui suinte la misère et le pus, le corrompu et l'immoralité. Série noire remue les tripes mais envoûte et nous piège comme ses protagonistes... (vu le 29.07.2021) ⍖⍖⍖⍖




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