18 avril 2022

KröniK | Year Of No Light - Consolamentum (2021)




Cela fait une vingtaine d'années que Year Of No Light laboure la scène sludge / post hardcore, longévité qui lui confère une juste respectabilité en même temps qu'une stature de patriarche. Mais en vérité, la reconnaissance est venue très tôt pour ces Bordelais, dès l'originel "Nord" qui va d'emblée les imposer parmi les fers de lance du son à la fois velu et ambiancé, hexagonal et au-delà. Toujours prêt à ferrailler avec les copains (Mars Red Sky, Bagarre Générale, Thisquietarmy et bien d'autres), le sextet se révèle malheureusement moins prompt à graver des albums. 

Ainsi, huit ans après "Tocsin", il accouche enfin d'un cinquième effort. C'est dire si "Consolamentum" était attendu comme une sorte de messie par tous les amateurs du genre, impatience renforcée par la récente signature avec Pelagic Records, écurie dans laquelle le groupe a naturellement toute sa place. On se demande même pourquoi il n'a pas scellé cette alliance avec le label allemand plus tôt tant cette union paraît évidente. 

Par sa valeur, sa rareté et la nature même de son art, organique et mouvant, Year Of No Light ne se pénètre pas comme n'importe quelle formation. Il y a presque quelque chose de religieux dans l'écoute de ses offrandes et dans la défloration de celles-ci. Ce cinquième opus ne déroge d'ailleurs pas à la règle. Massif du haut de ses cinquante-cinq minutes réparties en cinq pistes, "Consolamentum" impose une immersion attentive et solitaire pour goûter toutes les sombres saveurs de son intimité, d'autant plus qu'il déroule une architecture intégralement instrumentale. 

Corollaire de ce format duquel le chant est éconduit, l'œuvre se pare d'une dimension cinématographique particulièrement nette. Rien d'étonnant à cela pour des artistes qui ont adapté le "Vampyr" de Dreyer en musique. Mais affronter des complaintes d'une dizaine de minutes en moyenne, instrumentales de surcroît, peut en rebuter certains. Contre toute attente, on pousse pourtant les portes du successeur de "Tocsin" avec aisance : malgré sa longueur et la tension sourde qui gronde dans ses boyaux, 'Objuration' tisse une toile aussi séduisante que confortable, à peine enténébrée par une fin de parcours aux lignes plus dures. De quoi décevoir ceux qui espéraient de la part de Year Of No Light quelque chose de plus brut, de plus sévère. 

Et que dire du maillage évanescent qu'étale 'Alètheia' et ses guitares fragiles aux allures de doux murmures, prélude cependant à une seconde partie plus pesante et immersive. Les effluves space rock à la Zombi que libère le néanmoins trippant 'Came' ne trouveront sans doute pas davantage grâce aux yeux des irréductibles grincheux. Certes, l'album n'évite pas certaines facilités et ne prend aucun risque. Mais enfin, quelle puissance évocatrice ! Quelle beauté nichée dans les replis de ces compositions aux allures de tableaux de maître ! 

Forgé par un ensemble de musiciens à l'unisson d'une mélancolie pulsative, chaque fragment de ce disque, qui tire son nom d'un rituel cathare, possède une couleur, une ambiance qui lui est propre. Sans pour autant les individualiser, ce qui participe de cette impression de voyage que l'on ressent à l'écoute de "Consolamentum", bloc aussi compact qu'envoûtant dans lequel on plonge comme dans une bande originale de film et dont les cinq chapitres sont comme autant de segments d'un récit qui progresse peu à peu. 

Year Of No Light ne se réinvente pas mais signe une œuvre à sa démesure, véhicule d'un post rock cérémonieux qui n'appartient définitivement qu'à lui, chaleureux et hypnotique, éthéré et pénétrant. (05.09.2021 | MW) ⍖⍖⍖

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