12 avril 2022

CinéZone | Julien Duvivier - Voici le temps des assassins (1956)




Presque vingt ans après Pépé le Moko (1937), Jean Gabin retrouve Julien Duvivier, le réalisateur qui contribuera à faire de lui une légende du cinéma français, notamment grâce à La belle équipe. La guinguette que tient la mère Châtelin près de Lagny semble tisser un lien avec le classique de 1936 mais le pessimisme consubstantiel à l'œuvre du metteur en scène puise dans Voici le temps des assassins une dimension inédite. Jamais Duvivier n'avait alors enfanté un travail d'une telle noirceur pathologique et naturaliste, comme si Zola rencontrait Simenon. Au point qu'on a du mal à croire que c'est la même personne qui signa Don Camillo quatre ans plus tôt ! 

Jean Gabin incarne un restaurateur forcément bon vivant dans la peau duquel il se glisse avec aisance. Manipulé voire presque naïf, il ne campe pourtant pas un héros car Voici le temps des assassins se veut avant tout un film de femmes dont aucune n'est cependant illustrée sous un jour particulièrement radieux et encore moins flatteur. Les apprentis comédiennes décervelées qui se laissent tripoter par un vieux libidineux, la vieille Antoinette qui épie derrière les portes, la mère Châtelin, autoritaire et acariâtre, qui tue les poulets à coup de fouet, Gabrielle, son ex-belle fille, devenue une loque, qui téléguide sa vengeance hideuse depuis son lit aux allures de linceul poisseux et surtout Catherine, diablesse au visage d'ange qui joue la petite fille triste mais qui manipule André et Gérard qu'elle dresse l'un contre l'autre, le portrait de la gent féminine croqué par Duvivier est abominable. Entre leurs mains, les hommes ne résistent pas à leur haine et à leur folie, manipulés donc, cocufiés mais aussi tués. Mais exécutant le plan de sa mère, Catherine est plus complexe, instrument vengeur par ailleurs guidée par une soif d'ascension sociale. 

Halles de Paris grouillantes et populeuses, chambre d'hôtel miteuse, guinguette désolée et bords de Marne trempés dans une humidité sordide, ces décors que le soleil n'atteint jamais et témoins d'un Paris et alentours qui n'existent plus, se font l'écho de cette insondable noirceur de l'âme humaine. Duvivier procède par petites touches. Il commence par ouvrir le ventre de la capitale, illustrant la vie gouailleuse d'un grand restaurant sis au milieu de ce marché fourmillant que l'irruption d'une jeune fille faussement candide va peu à peu bouleverser, de petites phrases venimeuses jusqu'à la découverte de la vérité au fond d'une chambre misérable et culminant par la mort du jeune Gérard, sacrifié par cette punition machiavélique. 

Sombre et cruel, Voici le temps des assassins demeure un des films les plus maîtrisés du réalisateur dont on comprend mal les critiques qu'il essuyait à l'époque... (vu le 02.07.2021) ⍖⍖⍖⍖




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