24 janvier 2022

KröniK | Nature Morte - Messe basse (2021)




Nature Morte est un groupe qui n'est jamais vraiment là où on pense le trouver. Après le fondateur NM1 qui n'hésitait déjà pas à brouiller les pistes d'un post black hachuré de touches hardcore, le trio s'est associé au radical Hegemon le temps d'un split qu'on l'aurait plutôt vu partager avec un autre artisan de cet art noir moderne ouvert au sludge ou au post rock, tels que Déluge ou Regarde les Hommes Tomber par exemple. De même, suite à ce galop d'essai favorablement remarqué, ses auteurs auraient pu frapper à la porte d'un label qui a pignon sur rue, auquel ils ont finalement préféré le tout jeune Source Atone Records dont ils sont la première signature. 

En vérité, qu'ils aient rejoint l'écurie lancée, entre autres, par Krys Denhez, chanteur de Demande à la Poussière, n'est pas si étonnant car on baigne là dans un même univers à la fois humain (Edgard Chevalier le guitariste de DALP a enregistré ce deuxième effort) que sonore. Enfin, Nature Morte démontre qu'il se moque bien des codes et des règles corsetant la chapelle dans laquelle on tente de l'enfermer, en habillant cette nouvelle hostie d'une vieille photographie aux couleurs délavées comme crachée d'un antique Polaroid. Ce cliché figeant la sortie d'un baptême tranche par rapport à toutes ces pochettes en noir et blanc, pleines de neiges et de forêts. 

Pourtant le logo du groupe, placé en haut à gauche, perturbe la béatitude lumineuse de l'évènement ainsi capturé par l'objectif. Et ce qui pourrait n'être qu'un détail révèle la nature profonde de ce Messe Basse tout du long écartelé entre une noirceur décapante et une espèce d'indolence moelleuse. La première est irriguée par cette voie écorchée suçant du Destop, la seconde par une instrumentation qui fait la part belle aux atmosphères intimistes, aux ambiances pointillistes évoquant aussi bien la solitude d'une plage battue par un vent pluvieux que l'errance à travers une urbanité maussade. 

Par rapport à NM1 dont les velléités évolutives étaient encore timides, son successeur dévoile une formation à la personnalité bien plus affirmée. On mesure ainsi les progrès consentis en l'espace de trois ans à peine tant les forces qui la travaillent de l'intérieur ont depuis été digérées et domptées, aboutissant à une création certes clairement affiliée au post black mais qui se hisse franchement au-dessus de cette marée misérabiliste par la grâce de compositions qui ont gagné en épaisseur. Dans leur cave intime brûle la froide semence d'un art noir organique et onctueux auquel un canevas étiré et meurtri confère une opulence tentaculaire. 

Chaque titre épouse les courbes ombrageuses d'un grand-huit émotionnel où, comme l'illustre notamment 'Only Shallowness', une douceur fragile affronte une noirceur colérique. Sinueux et s'enfonçant peu à peu dans les arcanes de la terre, un morceau tel que 'Night's Silence' témoigne d'une écriture aussi mouvante que reptilienne aux allures de périples intérieurs. Pinceaux de cette ambivalence d'atmosphères, l'interprétation de tous les musiciens impressionne : la prise de son d'Edgard Chevalier leur fournit l'espace nécessaire pour éclore et s'exprimer, à l'image de 'White Goat, Dark Hoof'. Témoin également, cette 'Messe basse' aux confins de l'ambient drone et du post rock, curieuse conclusion instrumentale qui gronde d'une sourde tension mais fin idéale pour un concert ou pour un album vrillé par des sentiments contraires, tour à tour lumineux ou profondément désespéré. 

Sans être méconnaissable, il est néanmoins évident que Nature Morte dévoile par l'entremise de Messe Basse de qualités qu'on ne lui soupçonnait pas, récitant d'un deuxième psaume remarquable qui le voit transcender les codes du post black aux teintes shoegaze. L'avenir lui appartient, cela est tout aussi évident ! (24.05.2021 | MW) ⍖⍖⍖

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