Negură Bunget s'est éteint en 2017 avec la mort de Negru, son leader. Dès lors, l'héritage de ce groupe singulier, tant par son origine géographique (la Roumanie) que par son identité entre folklore et black atmosphérique, ne survit plus guère qu'à travers les travaux de Sol Faur et Hupogrammos, qui l'avaient pourtant quitté en 2009. Suite à leur départ, les deux musiciens fondent Dordeduh mais Dar De Duh (2012) ne réussit pas tout à fait à tutoyer la même réussite artistique que leur ancien port d'attache, malgré de très belles qualités d'écriture et d'arrangements. Ajoutons à cela une fertilité en berne et le projet se trouve condamné à l'éphémère.
Les deux compères s'activent ensuite au sein d'un Sunset In The 12th House pas plus productif mais dont l'unique album à ce jour, Mozaic (2015) s'impose comme leur effort le plus abouti et excitant depuis "OM" (2006) de Negură Bunget. Ils auraient pu poursuivre dans cette voie plus post rock quoique toujours bercée par un mysticisme folklorique, c'est pourtant Dordeduh qu'il décident de réanimer. Har est le résultat de cette résurrection qui, pour beaucoup, tiendra sans doute lieu de découverte. Nous serions tentés de croire que ce retour répond au désir de ses créateurs de renouer avec le black metal et une expression plus agressive. En vérité, il n'en est rien.
Certes, voix écorchées et traits abrupts voire meurtris ('Desferecat') jonchent bel et bien le menu mais on mesure néanmoins très vite à son écoute que ce ne sont que des oripeaux et non le substrat d'un album aux multiples visages et aux influences plurielles. Plus sophistiqué qu'atmosphérique, Har fait en quelque sorte la jonction entre Dar De Duh et Mozaic. Du premier, il conserve les aplats à la fois ténébreux et cosmiques et dans le second, il puise cet élan progressif, combinaison qui au final rapproche de plus en plus Saul For et Hupogammos de Enslaved. Ceux qui goûtent à l'alliage des musiques extrêmes et évolutives seront ainsi emportés par cet opus aux allures de voyage sensitif et coloré tour à tour sombre ('Vraci de Nord') ou lumineux ('Descant') mais toujours creusé par de déchirantes émotions ('In Vielistea Uitarii').
Percée par deux respirations tribales ('Calea Magilor' et le conclusif 'Vaznesit'), l'œuvre serpente au milieu de paysages multidimensionnels grondant d'une grande et belle puissance instrumentale. Remparts épiques, 'Timpul Etilor' et 'De Neam Vergur' sont les deux morceaux (de bravoure) qui incarnent le plus justement l'approche de Dordeduh. Du haut de leur plus de dix minutes au compteur, ce sont aussi les deux pistes les plus longues de cet ensemble massif et noueux. Amorce de l'album, le premier alterne les changements de tons et de traits en un véritable kaléidoscope à la fois brutal et aérien, terreux et symphonique, toujours obsédant et garni de lignes vocales diverses. Le second déroule une trame tout d'abord longuement instrumentale durant laquelle s'impose le goût des Roumains pour un post rock déchirant de beauté aux confins des musiques progressives. Puis, les traits se durcissent (quelque peu) en embarquant des voix black avant de s'achever dans les larmes avec un final bouleversant toutefois noirci par des pinceaux trempés dans les abysses.
Dordeduh justifie-t-il toujours sa place au sein de la chapelle black metal ? Rien n'est moins sûr puisque ce deuxième album rompt les amarres avec le genre auquel il préfère l'alliage singulier entre folklore ténébreux et envolées évolutives. Ce faisant, Har ouvre pour ses créateurs de vastes et nouveaux horizons. (05.06.2021 | MW) ⍖⍖⍖
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