Deux hommes dans la ville réunit pour la troisième et dernière fois Jean Gabin et Alain Delon après Mélodie en sous-sol (1963) et Le clan des Siciliens (1969), tous deux d'Henri Verneuil. Le père et le fils spirituel, derrière et devant la caméra. Derrière car le film, tourné trois avant la mort de l'interprète de Pépé le Moko, peut être vu comme un ultime passage de flambeau entre les deux monstres - selon la formule consacrée - du cinéma français. Devant car le premier joue un éducateur social au comportement très paternel avec le second, qu'il fait sortir de prison et dont il se porte garant.
Puissant et bouleversant réquisitoire contre la peine de mort mais dénonçant aussi les défaillances de la justice, l'inhumanité du monde carcéral et en filigrane l'impossible réinsertion des délinquants, Deux hommes dans la ville demeure un des films les plus personnels de José Giovanni. Suite à des exactions pour le moins troubles commises durant la Seconde Guerre mondiale, lui-même est condamné à mort en 1948 avant de voir sa peine commuée en vingt ans de travaux forcés. Il sera finalement libéré en 1956. Mais le sujet de la peine capitale le touche donc particulièrement et il profite du combat mené alors par Robert Badinter, pour s'en emparer.
Suivant une mécanique implacable, tout le récit conduit inexorablement à l'exécution de Gino Strabliggi qui, à cause de malchance ou tout simplement du fait du hasard, voit sa remise en liberté peu à peu compromise, poussé fatalement à commettre l'irréparable par un flic soupçonneux jusqu'à l'obsession. La mise à mort finale est filmée sans pathos par Giovanni avec une froide minutie et la sécheresse brutale de cette lame qui glisse dans un macabre chuintement. Le dernier plan où Delon lance un dernier regard terrorisé à Gabin reste un grand moment de cinéma.
Bien sûr pour rendre son message plus efficace, le réalisateur appuie sur certains traits. Le héros est trop beau et le flic trop salaud (raison pour laquelle Lino Ventura a décliné le rôle de l'éducateur). Gino a la gueule d'ange d'un Delon au sommet de son charme, attirant la sympathie et les femmes alors qu'on ne peut que détester l'inspecteur Goitreau (Michel Bouquet, d'une justesse glaciale) qui refuse de reconnaitre que l'ancien bandit ait pu définitivement se racheter aux yeux d'une société qui digère mal ses droits communs.
Le film est très hugolien car il y a du Jean Valjean dans le personnage de Gino et du Javert dans ce policier bêtement zélé cependant que son plaidoyer contre la peine de mort évoque Le dernier jour d'un condamné. Il est difficile d'imaginer que la guillotine fonctionnait encore en France dans les années 70 et il est tout aussi difficile de ne pas être contre la peine capitale après avoir vu Deux homme dans la ville que les performances conjointes de Gabin, bienveillant et mélancolique et de Delon (qui le produit par ailleurs), sobre et tragique, rendent profondément émouvant. La partition fragile de Philippe Sarde fait le reste.
Enfin, il convient de louer une distribution impeccable qui aligne, outre les acteurs déjà mentionnés, Victor Lanoux en malfrat, les charmantes Mimsy Famer et Cécile Vassort , les jeunes Bernard Giraudeau et Gérard Depardieu dans un rôle de voyou qui a les dents longues taillé pour lui mais aussi de nombreux visages familiers (Robert Castel, Maurice Barrier, Dominique Zardi, Jacques Monot ou Raymond Loyer, la voix française de John Wayne). Sa force intacte, Deux hommes dans la ville est un des grands films français des années 70. (vu le 14.05.2021) ⍖⍖⍖⍖
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