Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, sachez qu'Altarage figure parmi ces groupes qui repoussent les limites du réel et macèrent dans l'opacité la plus totale qu'ils semblent cultiver avec une délectation aussi masochiste que jusqu'au-boutiste. Cette démarche radicale se lit à tous les niveaux. De ces musiciens, nous ne savons presque rien, si ce n'est qu'ils sont espagnols. Cette volonté de n'afficher ni visage ni nom participe d'une identité brouillée et insaisissable. Ce n'est pas très original mais le fond l'est davantage, panse grouillante bouffée par les tumeurs d'un death black halluciné.
Altarage aime empiler des strates viciées et pesantes qui finissent par tresser un maillage d'une densité étouffante et corrompue. Chacun de ses albums possède quelque chose d'un gouffre sans fond, capable d'avaler la moindre petite trace de vie. Que ces Espagnols se montrent à l'unisson d'une technicité millimétrée contribue à rendre plus effrayant et tentaculaire le matériau qu'ils dressent avec une force abyssale. Le seul nom de l'album, Succumb, suffit déjà à évoquer des images oppressantes. Mais la durée anormalement longue - plus de 60 minutes - surprend néanmoins de la part d'un groupe habitué à un format ramassé. On devine alors un programme plus éprouvant encore, conjuguant une brutalité dévorante à des atmosphères saturées.
L'écoute débute avec trois titres très courts aux allures de viols auditifs, pénétrations un peu rudes qui font saigner les muqueuses. Puis surgit 'Forgone' aux nombreuses cassures qui, durant plus de sept minutes, fore les entrailles de la terre qu'il remue avec une violence aussi caverneuse qu'implacable. On mesure alors à quel degré de maîtrise du canevas lourd et suffocant est parvenu le groupe. D'une vélocité abrasive tout en demeurant corseté par une croûte asphyxiante, chaque morceau est poussé au bord de la rupture, à l'image des 'Drainage Mechanism', 'Forja' ou 'Watcher Witness' dont la tension qui les ronge donne l'impression qu'ils se répandent sur une durée plus longue qu'elle ne l'est en vérité. De fait, venir à bout d'une œuvre telle que Succumb tient de la gageure et de la punition. Passé un intermède bruitiste ('Fair Warning'), le menu s'abîme plus encore dans un dédale sans fin aux confins d'une folie contaminatrice, tel ce 'Lavath' au souffle corrosif et vénéneux.
Au bout de ce chemin de croix déchaîné et charbonneux s'enfonce le cyclopéen et bien nommé 'Devorador de Mundos' qui, du haut de ses 21 minutes, accède à une noirceur paroxysmique. D'une espèce de death doom abyssal, la complainte mue peu à peu en une vibration immersive aux plaies dark ambient dont la toile est étirée à l'infini comme un interminable et répétitif ressac funèbre. Monumental dans tous les sens du terme, même si nombreux sont ceux qui jugeront cette conclusion inutile. Mais par sa terrifiante démesure qui l'entraine dans les replis les plus sombres d'une harsh noise pétrifiée, ce râle terminal achève de la seule manière possible cet opus effrayant dans sa brutalité souterraine.
Altarage est un monstre, ce que nous savions déjà, mais que Succumb confirme plus encore, pandémonium qui pousse la démence vers un non-retour cryptique et funéraire. (08.05.2021 | MW) ⍖⍖⍖
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