Dans les années 60 et 70, à la suite de l'assassinat de Kennedy et de la guerre du Vietnam, le cinéma américain, miroir depuis toujours des inquiétudes travaillant la société, développe un nouveau type de films : le thriller paranoïaque. Un crime dans la tête (1962) de John Frankenheimer compte parmi les œuvres matricielles de ce courant que jalonnent d'autres bobines anxiogènes telle que Conversation secrète (1975) de Francis Ford Coppola ou A cause d'un assassinat (1974) de Alan J. Pakula, pour n'en citer qu'une petite et révélatrice poignée. Toutes participent par ailleurs de l'émergence du nouvel Hollywood.
A l'instar de L'ultimatum des trois mercenaires (1977) de Robert Aldrich, La théorie des dominos se nourrit de cette fièvre conspirationniste mais n'est pas issue de ce jeune vivier de réalisateurs. Célèbre producteur (Le train sifflera trois fois, Ouragan sur le Caine) puis auteur de productions souvent engagées des années 50 (La chaîne, Le dernier rivage) et 60 (Jugement à Nuremberg, Devine qui vient dîner), Stanley Kramer le met donc en scène. S'il cherche à copier le style nerveux en vogue, il ne peut toutefois se départir de certaines conventions, comme des stigmates du classicisme du vieux Hollywood. Un rythme parfois assez lent et les scènes romantiques entre Gene Hackman et Candice Bergen au ton très cartes postales, embarrassent ainsi la conduite du film qui ne peut rivaliser avec les maîtres-étalon évoqués précédemment.
De même, s'il est typique du genre, avec son héros piégé par un complot qui le dépasse, ignorant tout de la mission qui lui sera bientôt confiée après avoir été libéré de prison par de mystérieux commanditaires à la tête d'une organisation occulte et tentaculaire, La théorie des dominos ne creuse malheureusement pas son sujet, ne s'abîmant jamais sous une écume superficielle. Il semble que Kramer ait voulu réaliser un métrage beaucoup plus long mais des obligations commerciales l'ont contraint à limiter son matériau à une centaine de minutes. Le succès ne fut pourtant pas au rendez-vous, verdict des salles comme des critiques injustes car il s'agit très certainement d'une de ses meilleurs réalisations. Il livre un travail efficace à défaut d'être personnel, (presque) sans temps morts ni bavures.
Mais il n'en demeure pas moins que The Domino Principles tire avant tout sa force de ses acteurs, Gene Hackman en tête, parfait dans ce type de rôle d'homme sanguin et pourtant perdu au centre d'une toile dont il ne peut s'extraire. Après une série de téléfilms (La dernière enquête) ou de séries B (Une fille pour le diable, Le sursis) indignes de son talent charismatique, Richard Widmark lui tient la dragée haute dans la peau de cet inquiétant émissaire d'une vaste et invisible organisation dont il n'est en vérité lui aussi qu'un pion. Candice Bergen, Eli Wallach et Mickey Rooney complètent avec assurance le casting de ce film au scénario moins invraisemblable qu'il n'y parait... (vu le 24.04.2021) ⍖⍖⍖
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