2 juillet 2021

KröniK | Wardruna - Kvitravn (2021)




Le génie, écrivait Charles Baudelaire, est de créer un poncif. A sa manière, Einar Selvik est un génie en cela qu'il a presque su façonner à lui tout seul un genre que l'on pourrait appeler de l'ambient folk nordique. A tel point que Wardruna, le projet qui lui permet de cultiver sa passion (mieux, sa raison de vivre) pour la culture des temps anciens est rapidement devenu un phénomène qui a propulsé l'ancien batteur de Gorgoroth bien au-delà de la frontière du metal, black ou pas. Les Vikings sont à la mode, même si le Norvégien récuse ce terme pour qualifier un art loin de se réduire à la geste de ce peuple. De fait, on ne compte plus les collectifs se nourrissant de cet humus nordique sans pourtant jamais parvenir à en capter l'essence aussi bien que notre homme, dont l'activité de musicien se double de recherches historiques sur les instruments et la civilisation scandinave pré-chrétienne. Là résulte la différence entre le maître et tous ses disciples. Après la trilogie Runaljod, qui a durablement fixé son empreinte dans la roche gelée de ces fjords éternels, Wardruna s'est octroyé une sorte de parenthèse acoustique avec l'étonnant Skald, obole épurée s'intégrant néanmoins parfaitement dans son univers. Mais nous étions nombreux à guetter le retour du Norvégien dans le format ample et mythologique qui a fait sa renommée. Retardé par la crise sanitaire, Kvitravn est enfin là. Que cette cinquième offrande scelle une alliance avec le puissant Columbia ne doit pas effrayer les admirateurs historiques de l'entité septentrionale, craignant une érosion de cette personnalité sombrement envoûtante. Il n'en est rien. L'album reprend les choses là où les a laissées Ragnarok et devrait entamer un nouveau cycle. 




A travers le thème du corbeau blanc, messager entre les vivants et les morts, Einar s'intéresse à la relation entre les hommes et la nature, explore l'animisme au sein des cultures nordiques. Ce concept commande une expression minérale et pulsative, crépusculaire et immersive. Si le disque regorge de détails et d'arrangements, nul besoin de la parcourir plusieurs fois pour pénétrer son intimité. Dès 'Synkverv' qui en pousse les portes, l'auditeur est déjà emporté, transporté dans une époque reculée nimbée de mystères, dans une contrée fantasmée. Wardruna ne cherche nullement à se réinventer. Sa griffe demeure reconnaissable entre mille mais il lui confère cette fois-ci une emphase inédite, plus cinématographique que jamais, consacrant à Kvitravn des allures de bande-son, impression confirmée par le clip accompagnant la chanson-titre. Le disque se vit comme un récit qui culmine lors du final long de plus de six minutes, 'Andvevarljod' que hante un ensemble féminin puissamment évocateur d'un monde chamanique. A ce sujet, il faut absolument louer la noblesse, la pureté, du chant, sur cet album au cas particulier mais aussi d'une manière générale, dans toute l'œuvre de Wardruna. La voix de Lindy Fay-Hella demeure toujours aussi ensorcelante ('Grá') tandis que celle de Einar est fascinante, véritable instrument à part entière, semblant connectée aux éléments naturels. Musicalement, Kvitravn gronde d'une beauté brumeuse et percutante, que tisse toute une palette d'instruments traditionnels, recréés pour l'occasion, de la lyre au crwth en passant par le cor tandis que les percussions jouent toujours autant leur rôle de canaux entre différents mondes. L'ensemble concourt à une création bouleversante dont chaque pièce vibre d'une dramaturgie glacée, triste souvent ('Kvit Hjort'), d'une sentencieuse majesté toujours. Kvitravn ouvre un nouveau chapitre pour Wardruna, dont il peaufine l'identité minérale et animiste. Si les fidèles seront évidemment envoûtés, nous ne saurions trop conseiller aux autres d'embarquer à bord de ce drakkar capable de nous plonger dans cette époque lointaine et saisir cette culture nordique dont l'étiquette viking paraît bien réductrice. (17.01.2021 | MW) ⍖⍖⍖⍖

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