Jean-Pierre Melville et Alain Delon tourneront trois films ensemble : Le samouraï (1967), Le cercle rouge (1970) et Un flic (1972). Quand ils scellent leur alliance pour la première fois, cela fait déjà longtemps que les deux hommes désirent collaborer. Le réalisateur proposera au comédien L'armée des ombres qui le refusera, avant d'accepter finalement le scénario du Samouraï. On imagine d'ailleurs mal qui d'autre que lui aurait pu se glisser dans l'imperméable de Jef Costello, tueur silencieux et hiératique auquel Delon confère cette fragilité teintée de tristesse qui n'appartient qu'à lui. En composant ce personnage désenchanté et solitaire qu'on devine hanté par la mort, il trouve là un de ses rôles les plus emblématiques, se fondant dans l'univers glacial de Melville, engourdi par une lenteur hypnotique. Toute l'oeuvre du metteur en scène tend vers ce film matriciel d'une épure acétique. Si le style "melvilien" est déjà en gestion dans Le Doulos (1962) et surtout Le deuxième souffle (1966), c'est réellement Le samouraï qui l'établit. On ne compte plus les réalisateurs qui le cite comme influence, de John Woo bien entendu à Jim Jarmush en passant par Fernando Di Leo qui n'a jamais caché le tribut qu'il devait à Melville. Pour autant et malgré l'envoûtement qu'il distille, qualité qu'il doit autant à la performance de Delon qu'à la partition de François de Roubaix, Le samouraï n'est pas facile d'accès. Austère, le verbe rare, le film peut décontenancer par sa manière de briser tous les codes du polar. Hermétique, c'est un film noir sans action ni suspense, à l'exception de la filature dans le métro parisien, filmée et montée de main de maître. Jamais le travail de Melville n'aura abouti à une telle abstraction. Abstraction des décors faits d'un 36 quai des orfèvres aux couloirs irréels et surtout de la chambre de Costello aux allures de cellule monacale sinistre et quasi fantasmagorique. Abstraction de ce personnage de tueur qui parait n'avoir ni passé ni avenir. Il surgit comme un fantôme, ne prononce presque aucun mot et montre plus de tendresse pour un oiseau dans sa cage (métaphore de sa propre absence de liberté ?) que pour la femme qui lui sert d'alibi et avec laquelle il entretient une relation dont on ne connaît rien. Abstraction enfin d'un récit parcellaire. Pour quelle raison Costello est-il chargé d'abattre le patron d'une boîte de nuit ? La réponse n'est pas fournie et n'a de toute façon aucun intérêt. Seul compte le romantisme glacé de ce samouraï des temps modernes, loup blessé qui sait ne pas pouvoir échapper à une issue funeste... (vu le 22.01.2021) ⍖⍖⍖⍖
L'aîné des Ferchaux (1963) | Le cercle rouge (1970)
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