Si les premières secondes de 'Sorrow Of Sophia' suffisent d'emblée à balayer les cinq interminables années qui séparent Under A Godless Veil de Sovran, elles confirment avant tout que Draconian a décidemment eu mille fois raison de recruter la chanteuse Heike Langhans en 2012. Car, nonobstant le talent, plus funèbre, de Lisa Johansson qui l'a précédée à ce poste, la Sud-Africaine possède la capacité rare de nous emporter dans son sillage dès qu'elle pose ses mélopées à la fois limpides et blafardes comme un souffle cristallin. Découverte pour beaucoup grâce à Sovran, nous avons eu depuis le loisir de savourer sa voix sur les albums d'ISON et sur le Another World de Light Field Reverie, également publié cet automne. La belle est donc pour beaucoup dans l'attraction que cette septième offrande des Suédois exerce, à tel point qu'on se prend à rêver de la voir seule derrière le micro, sans avoir à partager l'espace avec les vocalises d'outre-tombe de son compère Anders Jacobsson - au demeurant excellentes. Mais sans cette dualité, Draconian ne serait bien sûr pas ce qu'il est. A ce titre, le groupe a su faire la synthèse entre, d'un côté, le gothic doom norvégien, celui des Tristania et Trail Of Tears et de l'autre, du doom finlandais, funéraire mais mélodique, celui de Swallow The Sun notamment. Le fait que la voix poétique de Heike ne soit pas si éloignée que cela de celle de la défunte Aleah Stanbridge, n'est ainsi pas étranger à cette filiation. Comparé à son devancier, écrin d'une mélancolie céleste et romantique, Under A Godless Veil renoue d'ailleurs avec une expression plus morbide comme paraissent l'annoncer l'artwork aux teintes sépulcrales de même que le retour du logo de jadis. En fait, la réalité est, comme souvent, moins simple.
Ne serait-ce déjà parce ce que le caractère massif de l'œuvre ne l'aide pas à la pénétrer. Les traits austères qu'elle arbore ajoutent encore à cette approche moins accessible sinon engageante. Certes, il y a donc le chant de Heike qui, puissamment émotionnel, suffit à ferrer le pèlerin, mais ces chansons, au format par ailleurs étiré, présentent une dureté qui tranche autant avec le spleen parfois misérabiliste de Where Lovers Mourn (2003) qu'avec la tristesse astrale et soyeuses de Sovran. En cela, Under A Godless Veil possède une âme qui lui est propre et que l'empreinte de la déesse brune rattache finalement à tort au disque précédent. On devine que la bande de John Ericson a cherché à davantage couler l'organe de la chanteuse dans un creuset plus brut, plus funéraire sans doute, dégraissé de ses artifices liquoreux, et paradoxalement plus romantiques que jamais. Il en résulte un opus aux allures de retable dont les compositions sont écartelées entre noirceur rocailleuse et grâce élégiaque, à l'image de 'Ascend Into Darkness' et ses neuf minutes drapées dans un linceul sombre mais tavelé d'un espoir aussi miraculeux que salvateur. Tout du long, l'album cultive cette ambivalence entre une force endeuillée et une lumière imbibée dans un éther poétique. Chaque titre en forme le tertre indivisible tel un bloc dont on ne peut extraire une partie plutôt qu'une autre. Si aucune composition ne se détache réellement, toutes se révèlent merveilleuses, bâties sur une écriture d'orfèvre et garnies d'une instrumentation granitique et élégante tout ensemble. Plus hermétique que ses prédécesseurs, Under A Godless Veil ne réussit pas seulement la jonction entre les premiers albums et Sovran mais libère un gothic doom dont les atours macabres sont léchés par une clarté vespérale. Ce faisant, il sonne pour Draconian comme son travail le plus pur, comme si celui-ci avait atteint la quintessence de son art. (21.11.2020 | MW) ⍖⍖⍖
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