Ce qu'il y a de plus frappant - et de plus inquiétant - avec Soleil Vert, est que, plus les années passent et moins son sujet parait relever de la science-fiction, tant le monde que nous connaissons aujourd'hui et celui qui risque que de lui succéder, ressemblent à celui imaginé dans ce film pas vraiment d'anticipation. Pollution, surpopulation, réchauffement climatique, disparition de la faune et de la flore, société de classes de plus en plus affirmée, femmes réduites au rang de "mobilier" et nourriture douteuse définissent ce futur qui n'en est (presque) plus un. S'inscrivant dans un double contexte, celui du nouvel Hollywood et celui de la naissance de l'écologie moderne, Soleil Vert est évidemment un classique du cinéma de science-fiction des années 60/70 (mais pas que), aux côtés des 2001 : l'odyssée de l'espace, La Planète des singes, THX 1138 et Silent Running. Classique, il l'est aussi par sa facture. Perméable à toutes les modes, à tous les styles, du polar (Les inconnus dans la ville) à l'aventure historique (Les Vikings), du drame (La fille sur la balançoire) au film de guerre (Le temps de la colère), Richard Fleischer est davantage considéré comme un solide artisan que comme un auteur. C'est sans sous doute un tort. Sa griffe est pourtant évidente, laquelle se traduit ici par une science admirable du cadre et des plans larges. Son sens de la narration n'est plus à prouver non plus, cousu dans cette sobriété héritée de son apprentissage dans la série B. Si certains intérieurs (ceux de l'appartement de Simonson) sont aujourd'hui datés car trop marqués par l'esthétique kitsch des années 70, Fleischer choisit en revanche de peindre des extérieurs crasseux, étouffant sous un voile de pollution, très proches de l'univers de béton dans lequel prolifèrent nos mégapoles. Après toutes ces images terreuses et anxiogènes, la vision du monde d'avant tel qu'il est projeté à un Sol Roth prêt pour le grand départ, n'en est que plus puissante. Et émouvante car nous comprenons alors que cette nature si belle ne sera bientôt qu'un lointain souvenir. Voire même pas un souvenir du tout pour les prochaines générations. C'est aux spectateurs d'alors, d'aujourd'hui et de demain que s'adresse cette séquence réellement anthologique, vers laquelle tout le film semble devoir tendre. Soleil Vert n'a donc rien perdu de sa force visionnaire, gageure qu'il doit aussi à des scènes mémorables, moins spectaculaires (hormis la charge des émeutiers à coup de pelleteuses) qu'intimistes, comme lorsque Thorn s'extasie de petits riens, de choses anodines pour nous mais devenues rares et privilèges des classes dominantes (du parfum, de la glace dans un verre, une cuillère de confiture, de l'eau qui coule au robinet). Charlton Heston est quand même très bon mais c'est Edward G. Robinson qui nous touche le plus, parce qu'il s'agit de son dernier rôle (il meurt d'un cancer quelques semaines seulement après la fin du tournage) et parce qu'il est la mémoire de ce monde disparu. Film de SF déguisé en polar (à moins ce que cela ne soit l'inverse), Soleil Vert reste bien entendu inoubliable également pour son dénouement lorsque l'on découvre l'horrible vérité qui se cache derrière cette bouffe synthétique. Avec Le voyage fantastique (1966), L'étrangleur de Boston (1968), L'étrangleur de Rillington Place (1971), Les complices de la dernière chance (1971), Terreur aveugle (1972) et Les flics ne dorment pas la nuit (1972), Soleil Vert forment une sacrée parure de perles cinématographiques à mettre à l'actif de Richard Fleischer et que peu de réalisateurs peuvent se vanter d'avoir enfilée. Plus mineurs, Mr. Majestyk (1974), Mandingo (1975) ou Ashanti (1979) animeront une fin de carrière toutefois encore estimable. (vu le 18.10.2020) ⍖⍖⍖⍖
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