Gommer les individualités par des visages cagoulés et l'anonymat de musiciens dont les noms ne sont pas dévoilés est une démarche vendeuse sinon à la mode actuellement dans le black metal. En cela, Gaerea ne fait que suivre cette tendance dont nous commençons sérieusement à nous méfier. Les Portugais méritent pourtant mieux que cette vitrine qui ne surprend plus personne. Season Of Mist ne s'y est d'ailleurs pas trompé, ayant flairé un potentiel qui faisait plus qu'affleurer à la surface de Unsettling Whispers, leur première cuvée. Son origine lusitanienne ne doit pas non plus vous tromper : Gaerea ne noue aucun lien avec le metal noir sinistre et décharné qui prolifère souvent dans les caves de ce pays plus ténébreux que méridional. Les habitués des labels Black Gangrene ou Altare Productions peuvent donc passer leur chemin car le matériau que pétrissent ces Portugais leur semblera bien trop sophistiqué. Mais quelle définition du genre ces derniers ont-il choisi de réciter ? Là encore, le groupe ne fait pas vraiment preuve d'une originalité débridée. Dans ces longues compositions prend en effet racine ce mélange de black, de sludge voire de post metal qui lui aussi ne cesse d'être cultivé jusqu'à l'indigestion. Pour toutes ces raisons, Limbo ne devrait guère mériter le détour.
Et pourtant, le charme opère. Il n'y a certes rien là-dedans qui n'ait déjà été entendu ailleurs et les puristes ne manqueront sans doute pas de s'étrangler à son écoute, mais très vite, l'étau se referme sur nous et l'album creuse son chemin dans notre chair, au point de ne plus quitter notre mémoire. Il finit par nous hanter. A quoi attribuer cette force évocatrice ? A l'habileté des musiciens en présence ? Celle-ci est réelle mais ne suffit pas à expliquer la réussite de ce deuxième opus. Au fuselage sonore ? Responsable du mixage et du mastering, Miguel Tereso contribue à lui donner la profondeur idoine, à la fois crépusculaire et moderne mais cela ne fait pas un bon disque. En réalité, ce qui fait tout le sel de ces plaintes tortueuses réside dans la puissance dramatique que sait leur injecter un groupe à l'unisson d'une tension émotionnelle cataclysmique. Dans la noirceur âpre et charbonneuse du black metal, il coule la beauté désespérée d'une partition plus atmosphérique. Il en découle des compos qui grondent d'une pression souterraine toujours au bord de la rupture mais qu'entaillent cependant des brèches laissant échapper un souffle aérien. Le torrentiel 'Conspiranoia' qui après une entame aussi longue que lancinante s'en va galoper sur des terres plongées dans une nuit sans fin, et plus encore le cyclopéen 'Mare', bloc haut de 13 minutes lacéré par de vertigineuses plaies remplies d'un pus mélancolique, illustrent admirablement la manière dont les Portugais sculptent leur black metal sans grande personnalité peut-être mais avec un sens de la démesure tragique qui touche en plein cœur. Fort de ce deuxième effort en tout point fascinant et de l'exposition que lui offre Season Of Mist, Gaerea devrait rapidement s'imposer parmi les valeurs sûres d'un black post moderne. (22.08.2020 | MW) ⍖⍖⍖
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