9 septembre 2020

Oranssi Pazuzu | Mestarin Kynsi (2020)




Que Oranssi Pazuzu ait foulé les planches du Roadburn en 2017, donnant lieu à un live deux ans plus tard, n'avait rien de surprenant car ce festival culte a toujours cherché à s'ouvrir à de multiples champs sonores, plutôt doom au départ mais accueillant aussi bien du black metal que du progressif (on pense à Magma par exemple) dès lors que l'audace, les velléités évolutives sont au rendez-vous. Démiurges d'un art noir étrange dont l'étiquette psychédélique qui y est accolée résume mal, ou du moins partiellement, la teneur, les Finlandais y avaient donc toute leur place. N'oublions pas que Jun-His (chant, guitare) fut un membre de Kuolleet Intiaanit, groupe de rock surréaliste déjà bien barré. Qu'ils aient rejoint récemment l'écurie du puissant Nuclear Blast étonne en revanche davantage et n'a pas manqué d'inquiéter leur public. Le groupe allait-il céder son étrangeté sur l'autel commercial et vendre son âme ? 'Ilmestys', lente amorce inquiétante et tribale qui semble s'être échappée du cerveau malade d'un King Crimson transformé en chamane, permet d'emblée à "Mestarin Kynsi" de balayer ces craintes.

Oranssi Pazuzu n'avait rien offert depuis quatre ans et un "Värähtelijä" assez monumental, long tunnel jonché toutefois par les EP "Farmakologinen" et "Kevät / Värimyrsky" sans oublier le "Syntheosis" de Waste Of Space Orchestra, fruit de son alliance avec le tout aussi dément Dark Buddha Rising. C'est dire l'attente suscitée par ce cinquième album, qui voit ses géniteurs larguer de plus en plus les amarres du black metal pour accoster les rivages d'une terre pas vraiment plus engageante. Car, plus que jamais, la définition du psychédélisme que nous proposent ces Finlandais ne rime non pas avec des ambiances moelleuses mais avec une puissance noire. Pour eux, le rock progressif se confond avec le collectif de Robert Fripp ou avec un krautock d'une froideur oppressante. Batterie torrentielle, guitares abrasives ou vocalises écorchées arriment toujours leur canevas au black metal mais bruitages électroniques et nappes hantées s'élèvent de plus en plus au-dessus de ces milles lacs dont l'eau bouillonne d'effluves ténébreuses.



Une cacophonie démentielle guette tout du long de cet album qui s'achève en plongeant dans une démence aussi chaotique que déchaînée qu'incarne un 'Taivan Portii' cataclysmique, où s'accouplent en un pandémonium orgiaque hurlements, rythmique bétonnée et sonorités cosmiques. Chaque composition est rongée par une folie prolifératrice à la manière de métastases hors de contrôle, témoin ce 'Tyhjyyden Sakramenti' dont le climat hypnotique cède peu à peu la place aux ténèbres, poussées par ces guitares déglinguées au goût de rouille en une ascension hallucinée.

Que dire également de 'Uusi Teknokratia' qui, nimbé d'une myriade de sons électroniques qui confinent à la transe, apparaît comme l'enfant malade né de la copulation fiévreuse entre le Roi cramoisi et Darkspace, soit entre un rock progressif azimuté et un black metal glacial et stellaire. Et plus l'écoute avance, plus on perd pied, égaré dans ce dédale aux allures de trip aussi déjanté qu'inquiétant. Ces six morceaux forment les marches successives d'un escalier qui s'enfonce progressivement dans les entrailles d'une cité souterraine coincée entre plusieurs dimensions, univers fantasmagorique dont on ne peut s'échapper indemne.

Fidèle à lui-même, Oranssi Pazuzu accouche avec "Mestarin Kynsi" d'un album à sa (dé)mesure, dévorant l'espace sonore pour dresser avec une force d'ébène le vît d'un black metal de plus en plus progressif dans sa folie cosmique. (20.05.2020 | MW) ⍖⍖⍖


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