Bien que ne possédant à priori pas l'arsenal tant géographique que culturel propice à l'émergence d'une scène doom, la Corse accueille pourtant quelques bûcherons friands de son velu. Ainsi, après Alkonaut dans une veine stoner / desert rock caillouteuse, c'est au tour de Mazzeri de s'inviter dans nos cages à miel. Actif depuis trois ans, le groupe accouche aujourd'hui de sa première enclume.
D'emblée, un nom au milieu des crédits attire forcément l'attention, celui de James Plotkin, qui l'a mastérisé et qu'on ne présente plus. Que l'ancien Khanate ait été sollicité fournit de précieux indices quant à l'exigence de Mazzeri et la direction artistique qui est la sienne. Si l'Américain a bossé avec des colosses du doom européen, de Electric Wizard à Conan, il reste avant tout associé à tout un pan de la chapelle post rock/hardcore/drone nord américaine, celle des Isis, Pelican, Nadja et consorts. Et ce sont ces territoires que les Corses foulent avec un sens déjà aiguisé de l'atmosphère assommante et de torrentueux développements. Sur Megachurch, le chant n'est à ce titre pas sans évoquer celui de Josh Graham (A Storm Of Light, Battle Of Mice). On aurait pourtant tort de réduire Mazzeri à une simple déclinaison française de la scène neurosienne tant les quatre pistes de ce galop d'essai, brassent toutes sortes d'influences, traversent des espaces contrastés, trempent dans une palette aux multiples couleurs.
Parler de doom à son endroit tient même finalement du raccourci. Les traits massifs, l'album en possède la robe épaisse mais il a la saveur aussi bien du rock progressif que la musique ambient et électronique. Au rugueux Prophète, qu'irriguent des guitares d'une lourdeur tectonique succède par exemple un Gloria nimbé d'effluves entêtantes presque technoïdes. Si la voix teintée d'amertume de Thomas Viti ainsi que les claviers hantés aux accents liturgiques cimentent le tout, chacune des compositions se fraie un chemin singulier, suivant un tracé sinueux entre trame évolutive, puissance souterraine et éruption émotionnelle. Sentinelle haute de plus de seize minutes, Gouffre résume bien l'approche recherchée par Mazzeri, plainte épique où fusionnent dans les profondeurs d'un creuset tellurique la beauté désenchantée d'une guitare tour à tour aérienne ou raclant le sol, l'étrangeté de synthétiseurs fantomatiques et ces lignes vocales fébriles bien vite avalées par ce magma instrumental qui s'achève de manière presque bruitiste, au bord d'un précipice, jusqu'à ces ultimes mesures lumineuses et néanmoins chaotiques.
Téméraire, cet opus se révèle insaisissable et ardu à définir, à étiqueter; butinant plusieurs genres, doom, sludge, progressif sans réellement appartenir à aucun d'entre eux, creusant dans un sol rougeoyant un canevas tentaculaire percé par des geysers d'émotions. Mazzeri s'impose une formation aussi curieuse que précieuse qu'il faudra suivre à la trace tant on devine un potentiel encore à peine défloré... (04.05.2020 | LHN) ⍖⍖⍖
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