Après le définitif "Ordo Ad Chao" (2006), œuvre d'une noirceur grouillante et radicale, on se demandait comment les Norvégiens de Mayhem pourraient être en mesure de lui donner un successeur, cet album puant la mort sonnant comme l'achèvement d'une carrière aussi culte que tumultueuse. Le départ, deux ans plus tard, de Blasphemer, qui avait su intelligemment remplacer Euronymous (dont il est inutile de rappeler les circonstances de la mort) et par là même sauver le groupe, semblait être l'ultime étape avant le chaos. Mais les légendes ne meurent jamais. Mayhem a pris le temps de se reconstruire autour du noyau Atilla/Hellhammer/Necrobutcher, recrutant non pas un mais deux guitaristes, le mercenaire Ghul (Shining et ex Cradle Of Filth) et surtout Teloch, second couteau chargé d'être le nouvel architecte de l'identité des Norvégiens. Fruit de cette reconstruction, "Esoteric Warfare" (2014), s'il n'a pas fait l'unanimité, a eu au moins le mérite de se différencier d'un "Ordo Ah Chao" de toute façon impossible à reproduire. Cinq ans plus tard, "Daemon" lui succède enfin, qui permettra de juger réellement ce Mayhem post-Blasphemer. Entre un titre éculé et l'impression (trompeuse) que le groupe court après la mode alors qu'autrefois, il la précédait, la dictait, n'augurent tout d'abord pas d'une grande réussite. Marqué dans sa chair par une noirceur furieuse accouplée à une agressivité débridée, cet opus séduira pourtant ceux qui estiment que le black se doit d'être rapide et tranchant comme un scalpel labourant la peau. 'The Dying False King', 'Agenda Ignis' ou bien encore 'Worthless Abominations Destroyed' leur permettront d'épancher leur soif de brutalité.
Ce vernis fielleux une fois perforé, l'offrande se dévoile ensuite dans toute son intimité ténébreuse. Au-delà de la prise de son quand même assez monumentale que signe Necromorbus, c'est la performance vocale d'Attila Csihar, à la fois baroque et mortifère, théâtrale et malsaine, à des années-lumière de la diarrhée faussement diabolique que nombre de chanteurs du genre croient être le summum de la malfaisance noire, qui constitue les fondations de ce "Daemon" auquel finalement seul Mayhem peut donner un tel nom sans paraître ridicule. Associé à des guitares tordues et venimeuses et à une batterie apocalyptique mangeuse d'espace, le Hongrois ausculte l'obscurité de gouffres vertigineux, convoque les forces infernales, déclamant avec une emphase maladive des paroles imbibées d'une sève corrompue ('Invoke The Oath'). La vélocité torrentueuse sur laquelle il appuie n'interdit pas à Mayhem d'ouvrir les plaies d'atmosphères vicieuses qui suintent le long des crevasses écartelant ces compositions aussi radicales dans leur violence contagieuse que déglinguées dans leur expression ténébreuse, témoin ce 'Malum' aussi suffocant qu'implacable, bouillonnant de miasmes macabres. Et au final, sous couvert d'une férocité échevelée, les Norvégiens se taillent un chemin qui leur est propre, redéfinissant leur son tout en conservant leur signature. Fruit d'un foisonnant travail d'écriture et d'enregistrement (expliquant le nombre de bonus composés qui mériteraient tous d'agrémenter le menu principal), "Daemon" déborde d'une nocivité âpre et dérangeante qui place ses créateurs largement au-dessus de la cohorte de ses suiveurs. On s'inquiétait pour Mayhem. A tort car il dresse plus que jamais une hampe noire gonflée d'une semence vénéneuse et impie. (24.11.2019 | MW) ⍖⍖
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